Arthur et Adam sont, dans ce village des bords de Mayenne, deux garnements redoutables dont les espiègleries, doux euphémisme, font rarement l'unanimité, sinon contre eux. Alliant un manque total de sens moral à une incroyable cruauté, ils traquent leurs victimes au sein des plus démunis ou s'attaquent aux chats et aux chiens qui ont le malheur de croiser leur route.
L'école a reçu plusieurs fois leur visite et ses murs en portent encore la trace. Car, s'ils y entrent parfois, c'est rarement aux heures des cours, systématiquement séchés.
Les familles d'Arthur et Adam sont voisines. Aux franges du bourg, elles ont investi deux masures sordides, encombré les abords de ferrailles et d'ustensiles divers, aussi inutiles que laids. Les villageois évitent cet endroit et leurs locataires mal embouchés. C'est un univers propice à l'éclosion de sauvageons du genre des deux acolytes.
Le maire n'ose plus aller se plaindre auprès des responsables de ces gosses. Responsable est d'ailleurs un mot à bannir du vocabulaire de ces familles. Un haussement d'épaule est la réponse habituelle quand ce n'est pas une bordée d'injures.
Bref, libres de toute contrainte, Arthur et Adam errent dans les bois, les chemins et les rues, à l'affut des mauvais coups possibles et des objets à voler. L'occasion faisant le larron, les habitants évitent de leur donner l'opportunité de nuire. Les voitures sont fermées, les portes closes, les vélos cadenassés.
Pour visiter l'église, il faut en demander la clé au restaurant de la place. Depuis, les bougies ne disparaissent plus, le bénitier n'est plus envahi par des grenouilles, les cloches ne se mettent plus à sonner à des heures indues.
En ce lundi du mois de mai, les faux jumeaux rodent autour de la vieille église. C'est l'heure où les gens ordinaires sont dans leurs draps, même si la douceur du temps les a incités à veiller. Il y a une limite à tout, une heure pour les hiboux, une heure pour les hommes. Ces deux là, comme les nocturnes rapaces, dorment le jour et volent la nuit. Au devant de l'édifice millénaire, des barrières et des panneaux indiquent qu'une profonde excavation a été creusée, destinée à recevoir les canalisations du tout-à-l'égoût. Il doit bien y avoir quelques outils abandonnés, offerts à la convoitise des enfants.
Au fond de la tranchée, on aperçoit une dalle en pierre. Dans ce village, il suffit de creuser un trou pour tomber sur un des nombreux sarcophages qui peuplent un ancien cimetière mérovingien. A chaque fois, on ouvre le tombeau de pierre, on espère y trouver un trésor ou des restes d'intérêt historique. Pour celui là, on a remis au lendemain cette recherche traditionnelle. La nouvelle en a circulé. Elle est venue aux oreilles des garnements.
Pourquoi attendre? Brisée en trois morceaux par la pelleteuse, la dalle n'est pas assez lourde pour résister à leurs efforts conjugués. Un des fragments glisse sur le côté. Malheureusement, le faisceau de leur lampe de poche ne rencontre que du vide. Ce n'est pas aujourd'hui que ces pilleurs de tombe d'occasion feront fortune.
L'horloge du clocher égrène six coups. Déjà! Il va falloir rentrer.
C'est alors qu'une idée saugrenue germe dans l'esprit d'Arthur. Le maire et ses adjoints ont annoncé que la tombe serait ouverte à sept heures, en public. Quelle belle occasion de faire une de ces farces dont ils ont le secret. Elle ne sera pas plus goûtée que les autres mais ce n'est pas le genre de réflexion qui les arrête.
L'inventeur de la blague demande à Adam de se glisser dans le sarcophage. Pas trop rassuré, l'enfant se glisse par l'ouverture qu'ils ont pratiquée et Arthur, tant bien que mal, réussit à remettre en place le bout de couvercle dérangé. Il a expliqué à Adam que, tout-à-l'heure, lorsque les édiles soulèveront le couvercle de granit, ils trouveront, en guise de trésor, un petit diable. La presse sera présente et leur notoriété franchira les limites du bourg.
Puis, Arthur s'éloigne en sifflotant.
Quelques minutes plus tard, en tentant de récupérer sa casquette tombée dans la Mayenne il glisse et se noie. Il ne savait pas plus nager que lire.
Ce matin là, le maire fait savoir au chef de chantier que la cérémonie matinale est annulée. sans rien dire à quiconque il a jeté un œil dans le sarcophage, la veille, et compris que le jeu n'en valait pas la chandelle.
A sept heures, la pelleteuse pose un énorme tuyau de fonte dans la tranchée et la comble de gravats.
Les jours suivants trois ou quatre personnes assistent à l'enterrement d'Arthur.
Les jours suivants on se met à la recherche d'Adam.
Aujourd'hui, on le cherche encore!
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