jeudi 21 juin 2012

André RIEU Alte kameraden

En hommage à mon papa né le 15 juin 1915 et décédé à l'âge que j'ai actuellement, une marche militaire comme il les adorait.
Mon père avait tellement de défauts que nous ne nous comprenions plus
Il m'arrive parfois de penser que j'en ai plus que lui, pas les mêmes certes, mais qui font que certaines personnes ne me comprennent plus.
La roue tourne.
Mon papa jouait de la grosse caisse dans la fanfare de son régiment.
Je joue parfois de la grosse caisse mais, seulement, au sens figuré.
Je n'ai jamais parlé à mon père. Quand je dis "parlé", je pense à une conversation digne de ce nom.
Maintenant, il est trop tard. Depuis 32 ans, il est inaccessible.

 
***

mercredi 6 juin 2012

Statue vivante. Nouvelle par Zabulle

Maman est nerveuse. Elle sert fermement la main de la petite fille en l’entrainant vers la place de l’église.
Les rares passants, en ce froid matin d’avril, jettent un regard furtif au couple. Il est manifeste que la grande personne a bien du mal à imposer sa volonté à la gamine boudeuse qui n’aide en rien à leur progression.
Sans ces quelques témoins, Hélène utiliserait des moyens plus coercitifs mais elle se contente de maintenir fermement la main qui se dérobe et entraine l’enfant vers l’édifice massif qu’elle aperçoit maintenant en bout de la rue.

Maman est inquiète. Sans en parler à son époux, elle a décidé une thérapie risquée pour en terminer avec une phobie très particulière de sa fille. Il n’existe sans doute pas de nom pour cette maladie.
Certaine personnes ont peur des reptiles, herpétophobie, peur des araignées, arachnophobie, ou peur d’avoir peur, tout simplement. Il existe des centaines de phobies.
Mélanie a peur des statues ! Cela ne s’invente pas. Il semble que cette phobie ne porte pas de nom particulier.
Lorsque Mélanie aperçoit une statue sur sa stèle, au milieu d’une place, sur une pelouse de jardin public, au centre d’un bassin, elle se fige de terreur, tremble de tous ses membres et refuse tout mouvement.
Il faut alors la porter, faire un grand tour autour du personnage de fonte ou de marbre, sous les yeux étonnés des personnes qui assistent à la crise.

Maman connaît la raison de cette phobie. Quelques années plus tôt, Mélanie accompagnait Hélène dans les rues piétonnes d’Angers lorsqu’un de ces énergumènes qui se juchent sur un petit piédestal, peints de couleur bronze et figés dans une immobilité trompeuse attira l’attention de la petite. Sans méfiance, elle s’approcha d’une sorte de grand guerrier métallique et en fit le tour. Les spectateurs riaient sous cape.
Vous devinez la suite. Lorsque le soldat en acier se pencha sur elle, avec une flexion brusque du torse et toucha son épaule, elle se mit à hurler de frayeur. Personne ne se rendit compte du traumatisme profond que cette enfant venait de subir.

Maman a consulté. Les psychologues ont été unanimes. Il fallait soigner le mal par le mal. On habitue les ablutophobes à la baignade en commençant par des bains de pieds. On lâche peu à peu la main des agoraphobes au milieu des places. On emmène les hylophobes dans les bosquets, dans les bois puis dans les forêts.
Pour Mélanie, il suffirait de décrire des cercles de plus en plus rapprochés autour des Apollons et autres Venus de jardins publics pour obtenir le résultat escompté.
Rien n’y fit. Pas plus Rodin que Carpeaux ne purent retrouver grâce auprès de la petite.

Maman est décidée. Hélène ne veut plus s’en laisser compter. La manière douce ayant échoué, la manière forte s’impose. Elle serait du genre à emmener un nécrophobe à la morgue ou dans les catacombes, un thalassophobe à Berck plage.
Elle emmène Mélanie à l’église du bourg.
La bâtisse millénaire abrite assez de saints, de saintes et de représentations divines en plâtre coloré pour venir à bout de cette maladie. Après une heure ou deux passées à leur contact, Mélanie sera guérie, définitivement !
Et, s’il le faut, Hélène égrènera un chapelet aux pieds de la Vierge Marie.

Maman passe à l’acte. La porte de l’église est massive, les veines torturées de son bois, creusées par des siècles de pluies, vont de ferrures en ferrures, comme autant de sillons hostiles. Son grincement sinistre ouvre pour Mélanie l’accès à un enfer. Elle s’agrippe au chambranle mais rien ne peut s’opposer à la détermination de sa mère. Poussée, trainée, houspillée elle atteint le centre de la nef romane, dans une semi obscurité.
Elle se fige alors dans une sorte de cataplexie douloureuse. Ses muscles ne répondent plus et c’est miracle qu’elle reste debout.
Hélène s’éloigne d’elle à reculons, franchit le porche et referme la porte. C’est diabolique, idiot et sans appel.

Maman a eu tort. Adossée, le cœur battant à tout rompre, au bois rugueux, Hélène tend l’oreille. Un lourd silence répond d’abord à son attente anxieuse puis, strident et insupportable un cri jaillit de la nef, transperce les planches noueuses, vrille les tympans de la mère indigne. C’est un incroyable hurlement. Les sorcières devaient crier ainsi quand les flammes mordaient leurs mollets.
Hélène hésite puis, ce qui lui reste de lucidité maternelle réveille ses entrailles. Elle se jette sur la poignée de porte au moment où les cris s’arrêtent, comme avalés par la muraille.
Ses yeux s’habituent à la pénombre puis elle distingue une incroyable scène. Saint Sébastien est penché, torse nu et transpercé de flèches sur la fillette évanouie. Le curé d’Ars lui caresse les cheveux avec gentillesse tandis que Sainte Thérèse la berce sur ses genoux. Du fond de la nef arrive Jeanne d’Arc, brandissant un étendard de satin.

Maman perd la raison. Elle sort de l’église et tient des discours incohérents aux quelques personnes accourues. Puis elle s’évanouit sur les pavés du parvis.


Sur le côté du porche il y a une affichette.
Festival des statues vivantes.
Ce soir, répétition générale des artistes.
Ne pas déranger SVP.



 Pour me dédouaner de l'emprunt de cette photo, je vous invite à visiter le site très intéressant de Flepi

mardi 5 juin 2012

La crypte. Nouvelle par Zabulle

L'homme s'assoie souvent au dernier rang gauche de la nef, tout de suite après le narthex. Croyez bien que je n'utilise pas ce vocabulaire pour faire savant mais, c'est comme cela qu'on appelle les premières travées, inoccupées, d'une église romane. On y trouve le bénitier, vide de toute eau bénite car, personne dans nos vieilles églises ne remplit ces récipients. D'ailleurs, à quoi cela servirait t'il? Plus aucune grenouille ne se penche sur ces anciens miroirs pour y baigner un doigt arthritique.
Certains matins, par le grand vitrail de droite, les aurores ensoleillées projettent dans cette nef une lumière mystique. On se prendrait à y croire, comme Moïse devant son buisson ardent, ou Baudelaire devant un buisson poilu.
Sous ses pieds, l'homme le sait, il y a des dizaines de sarcophages. L'église a été édifiée au XIe siècle sur un immense cœmeterium. C'est assez banal. Quelle ville, quel village, n'a pas son cimetière mérovingien? Qu'on veuille faire passer une canalisation ou, simplement, planter un rosier dans le jardin du curé, on trouve les os gris d'un mérovingien, tapi dans son auge de pierre depuis douze ou treize siècles, calme.
Quand Robert le Fort, en 866, fut occis en cet endroit par des bretons et des normands venus piller la Francie occidentale, ces sarcophages étaient déjà là, sous l'église primitive. Les combattants n'en avaient sans doute pas conscience. Le corps du comte d'Anjou ne fut jamais retrouvé. On dit que son fantôme fait encore les cent pas, les nuits sans lune, dans le transept. Il descend de son piédestal, embarrassé par cette francisque que David d'Angers lui a mise dans la main droite et par un bouclier aussi anachronique que pointu. Sa broigne se prend dans les aspérités de la stèle qui porte sa statue mais il parvient à ses fins. lugubre, il déambule dans la nef déserte, va saluer le curé d'Ars et Saint Sébastien, baise la main que lui tend Jeanne d'Arc puis, tous quatre entament une partie d'osselets. Jeanne est gênée par d'anciennes brûlures et Sébastien gratte ses flèches mais l'ambiance est conviviale.
Un jour, Jeanne, troublée par le torse nu de Sébastien faillit perdre son titre de pucelle. Mais, Sébastien gêné par ses blessures et le regard de Sainte Thérèse, ne put décocher sa flèche.
Mais, revenons au visiteur assis au dernier rang. Il s'est vaguement assoupi sur son inconfortable banc et s'ébroue au moment où le mouton porté en travers des épaules du berger lui demande de lui dessiner un petit prince. Il comprend alors qu'il a abusé de ce bon vin d'Anjou qui anime parfois les statues, se lève et marche vers le chœur de l'édifice, un autel tombeau de marbre noir, supportant un grand thabor doré.
La nuit est assez avancée pour qu'il puisse rejoindre sans crainte son lieu de repos habituel. Il appuie son index sur un petit triangle maçonnique incrusté à droite de l'autel.
Le grand tombeau noir pivote en grinçant et une odeur de salpêtre et de moisi envahit le chœur. Un escalier de pierre, luisant d'humidité apparaît. Joseph s'y engage sans hésitation, descend quelques marches et appuie sur un sexe d'angelot qui n'est là que pour faire mentir la légende et refermer le passage.
Maintenant, il est à quelques mêtres sous l'abside abritant la sacristie. Il tâtonne un peu pour trouver une boite d'allumettes, laissée en permanence dans une anfractuosité, allume une bougie.
Dans un coin de cette cave secrète, il y a une grande pierre plate sur laquelle il a jeté une sorte de galetas plein de vermine. La première fois où, par hasard, il a découvert ce que nous appellerons maintenant une crypte, il y avait sur la pierre quelques os recouverts d'une sorte de broigne, une épée rouillée, un crâne auquel adhéraient encore de longs cheveux blancs. Il en a fait un tas dans un coin, pour dégager la place qui lui sert désormais de couche.
Voila, il est chez lui pour la journée et ne ressortira que tard ce soir, pour faire un tour dans le village endormi, pour voler quelques choux chez la Marie, un poulet chez le Patrick, et baiser une fillette de vin à la société de boule de fort.
Les rares visiteurs ne pourront pas soupçonner sa présence et même ses sonores ronflements ne parviendront pas à leurs oreilles. Il soupire d'aise, retire ses godillots et son pantalon de velours marron, s'enroule dans une grande chasuble trouvée un jour dans la sacristie et s'endort paisiblement.

Les mauvaises odeurs ne font pas frissonner sa narine.
Il dort dans le tombeau, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a une coulée rouge au bord des lèvres.
Mais ce n'est que du vin d'Anjou.
Et lui, c'est le dormeur Duval.

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