mercredi 28 septembre 2011

Internationalisation de l'Amazonie. Texte à méditer.

Pendant un débat dans une université aux Etats-Unis, le ministre de l'Éducation Cristovao Buarque, fut interrogé sur ce qu'il pensait au sujet de l'internationalisation de l'Amazonie.
Le jeune étudiant américain commença sa question en affirmant qu'il espérait une réponse d'un humaniste et non d'un Brésilien.
 
Voici la réponse de M. Cristovao Buarque.
 
En effet, en tant que Brésilien, je m'élèverais tout simplement contre l'internationalisation de l'Amazonie.
Quelle que soit l'insuffisance de l'attention de nos gouvernements pour ce patrimoine, il est nôtre.
 
En tant qu'humaniste, conscient du risque de dégradation du milieu ambiant dont souffre l'Amazonie, je peux imaginer que l'Amazonie soit internationalisée, comme du reste tout ce qui a de l'importance pour toute l'humanité.
Si, au nom d'une éthique humaniste, nous devions internationaliser l'Amazonie, alors nous devrions internationaliser les réserves de pétrole du monde entier.
Le pétrole est aussi important pour le bien-être de l'humanité que l'Amazonie l'est pour notre avenir. Et malgré cela, les maîtres des réserves de pétrole se sentent le droit d'augmenter ou de diminuer l'extraction de pétrole, comme d'augmenter ou non son prix.
 
De la même manière, on devrait internationaliser le capital financier des pays riches. Si l'Amazonie est une réserve pour tous les hommes, elle ne peut être brûlée par la volonté de son propriétaire, ou d'un pays.
Brûler l'Amazonie, c'est aussi grave que le chômage provoqué par les décisions arbitraires des spéculateurs de l'économie globale.
Nous ne pouvons pas laisser les réserves financières brûler des pays entiers pour le bon plaisir de la spéculation.


Avant l'Amazonie, j'aimerai assister à l'internationalisation de tous les grands musées du monde. Le Louvre ne doit pas appartenir à la seule France. Chaque musée du monde est le gardien des plus belles œuvres produites par le génie humain.
On ne peut pas laisser ce patrimoine culturel, au même titre que le patrimoine naturel de l'Amazonie, être manipulé et détruit selon la fantaisie d'un seul propriétaire ou d'un seul pays.
Il y a quelque temps, un millionnaire japonais a décidé d'enterrer avec lui le tableau d'un grand maître. Avant que cela n'arrive, il faudrait internationaliser ce tableau.

Pendant que cette rencontre se déroule, les Nations unies organisent le Forum du Millénaire, mais certains Présidents de pays ont eu des difficultés pour y assister, à cause de difficultés aux frontières des Etats-Unis. Je crois donc qu'il faudrait que New York, lieu du siège des Nations unies, soit internationalisé.
Au moins Manhattan devrait appartenir à toute l'humanité. Comme du reste Paris, Venise, Rome, Londres, Rio de Janeiro, Brasília, Recife, chaque ville avec sa beauté particulière, et son histoire du monde devraient appartenir au monde entier.
 
Si les Etats-Unis veulent internationaliser l'Amazonie, à cause du risque que fait courir le fait de la laisser entre les mains des Brésiliens, alors internationalisons aussi tout l'arsenal nucléaire des Etats-Unis. Ne serait-ce que parce qu'ils sont capables d'utiliser de telles armes, ce qui provoquerait une destruction mille fois plus vaste que les déplorables incendies des forêts Brésiliennes.

Au cours de leurs débats, les actuels candidats à la Présidence des Etats-Unis ont soutenu l'idée d'une internationalisation des réserves forestières du monde en échange d'un effacement de la dette.
Commençons donc par utiliser cette dette pour s'assurer que tous les enfants du monde aient la possibilité de manger et d'aller à l'école. Internationalisons les enfants, en les traitant, où qu'ils naissent, comme un patrimoine qui mérite l'attention du monde entier.
Davantage encore que l'Amazonie.
Quand les dirigeants du monde traiteront les enfants pauvres du monde comme un Patrimoine de l'Humanité, ils ne les laisseront pas travailler alors qu'ils devraient aller à l'école; ils ne les laisseront pas mourir alors qu'ils devraient vivre.

En tant qu'humaniste, j'accepte de défendre l'idée d'une internationalisation du monde. Mais tant que le monde me traitera comme un Brésilien, je lutterai pour que l'Amazonie soit à nous. Et seulement à nous!

mardi 27 septembre 2011

Le safran de Daumeray. Les nuits safranées du Grand Sauresour.

Le safran est l'épice
Dont les oignons étirent
A fleur de sol et mirent
Au ciel bleu les caprices.

De fins stigmates rouges.
Au creux des fleurs qui bougent.
Embaument les sillons
D'odeurs de tabac blond.
***
                        Zabulle

Marie allie charme et enthousiasme pour vous parler de ses crocus sativus. Thomas est plus circonspect. Ses doigts sont rouges après quelques soirées passées à extraire, de chaque fleur, trois fins stigmates.
Nous sommes, en septembre, en pleine production des 5000 bulbes, plantés dans une terre sablonneuse propice à cette culture très spéciale.
Cette année, la famille Lanthiez compte récolter plus de 50g de safran. Même si on l'appelle "or rouge", la précieuse épice nécessite courbatures et yeux douloureux pour offrir, dans les écrins que Marie confectionne, sa magnifique couleur.
Il faut du courage et de l'abnégation, auxquels Thomas ajoute un humour décapant, pour passer sous les fourches caudines de sa femme. Elle est comme ça! N'a-t'elle pas appris, en quelques mois, le langage des signes, pour le plaisir et parce que l'idée lui en était venue? 
Bref, le couple est charmant, sympathique et accueille fort bien les visiteurs. Marie vous fera goûter une merveilleuse tarte aux pommes et .... au safran, à moins que ce ne soit son flan au .... safran. Personnellement, je ne connaissais pas bien cette épice et, je vous assure qu'elle apporte aux gâteaux une saveur délicieuse. D'autres plats s'agrémentent fort bien avec les stigmates rouges de la fleur. Il convient, malgré tout, de savoir cuisiner avec cet ingrédient. Marie vous donnera le mode d'emploi et projette, dans quelques mois, des ateliers "cuisine" dont je vous reparlerai. Mais, motus.....
Enfin, et cerise sur le gâteau, le couple propose une chambre d'hôte très cosy. Dommage que nous habitions si près!
Classée trois stigmates, pardon trois épis sur le site des gites de France, elle vaut le détour ainsi que le petit déjeuner qui vous y sera servi. 
Même si les croissants et le café au lait ne sont pas safranés, votre nuit le sera et, peut-être, aurez-vous l'occasion de vous familiariser avec une des spécialités de Marie.
Visitez leur site, lui aussi vaut le détour et si vous venez en Anjou, passez par Daumeray. Vous repartirez, peut-être,avec un ou deux grammes de safran, sans doute, avec des souvenirs jaunes, rouges et bleus.

Des nouvelles de ce gîte

Je reçois, aujourd'hui 22 décembre 2012, un mail qui me fait grand plaisir. Je vous en livre le contenu sans en changer un iota:

Monsieur,
Lecteur régulier de votre blog , j 'y ai relevé l 'adresse d 'un gîte dont vous vantez les mérites dans un article "les nuits safranées ", à Sauresour (Daumeray).
        Nous nous y sommes rendus, mon épouse et moi-même, pour découvrir la prestation "Nuit Safranée" , c 'est-à-dire : atelier culinaire et chambre d 'hôte. Nous avons été pleinement satisfaits tant par l 'accueil chaleureux à notre arrivée que par la soirée qui a suivi, comble  de simplicité et de gentillesse. Comme , de plus , ce jour coïncidait avec un anniversaire pour notre couple, nous avons bénéficié d 'une délicate surprise.
  Tel est le propos de mon courrier . Il est normal, pourrait-on dire , qu 'un gîte se montre à la hauteur de son nombre d 'épis. Cela va sans dire, soit, mais n 'est-ce pas encore mieux en le rappelant  de temps à autre ?
Le gîte de Mme et Mr Lanthiez mérite bien , à notre avis , la publicité que vous affichez. Nous leur souhaitons longue réussite.
Cordialement.
G.... Ch......

mardi 6 septembre 2011

De l'amitié. Hédonisme et eumétrie dans l'univers de Michel Onfray.

Déceler un délinquant relationnel, c'est savoir qu'il le sera toujours: l'éviction, la sortie de son dispositif éthique, voilà la solution pour créer du plaisir par prophylaxie d'évitement de déplaisirs... 
Michel Onfray (Manifeste hédoniste)

Analyse personnelle:
Revoir éventuellement le billet sur l'eumétrie:  Cliquez ici
Les délinquants relationnels courent les rues. J'en suis sans doute un pour certaines personnes bien que je m'efforce à l'amabilité.
Deux traits de caractère placent, en général, mon interlocuteur dans la catégorie des délinquants:
- Le manque total de sens de l'humour.
- La bêtise.
A forciori, le cumul des deux me fait fuir.
Par ailleurs, je me trouve parfois confronté à d'inexplicables antagonismes. Cela me fait penser à ces scènes de divination au cours desquelles l'officiant avoue ne pas pouvoir se concentrer en raison de la présence d'un esprit hostile dans le tour de table.
Cela n'est rien quand cette aventure m'arrive au cours d'un simple diner. Il suffit alors de patienter une heure ou deux mais, s'il s'agit d'une situation pérenne, ou répétitive, alors je deviens très désagréable. Je sors l'individu de mon dispositif éthique avec pugnacité. Au pire, c'est moi qui sort du groupe constitué qui héberge le personnage.
N'étant plus lié au monde du travail et à ses contraintes structurelles, je ne me gène plus pour évincer des mes cercles éthiques ceux qui me causent du déplaisir. J'ai, trop longtemps, été obligé de supporter des supérieurs ou des collègues de bureau imbuvables. La première liberté du retraité est celle de choisir ses fréquentations. Cela n'a l'air de rien mais, quel confort!
Dehors donc, les malotrus, les atrabilaires, les pédants, les imbéciles, les braillards, les tatillons, les gurus et les antipathiques. Je ne veux autour de moi que des gens aimables!

dimanche 4 septembre 2011

Histoire romancée de la bataille de Brissarthe. Mort de Robert le Fort et du comte Ramnulf de Poitiers.

J'ai regroupé sur ce billet les cinq épisodes de l'histoire romancée de la bataille de Brissarthe parus précédemment.
Texte de Zabulle

Le château

La branche de coudrier résonna sur le bouclier rond. Sans ménagements, Robert avait abattu de nouveau son arme de fortune sur l’umbo central et l’enfant fléchit sur ses jambes. Protégeant sa tête avec le fragile rempart en bois, il tentait de cingler les mollets de son frère avec une badine de saule mais ne parvenait pas à ses fins.
Eudes se mordit les lèvres pour ne pas demander grâce sous les assauts de son ainé et recula sous les coups répétés. Agé de sept ans, il possédait déjà la rude noblesse de cœur des Robertiens, une famille franque des bords de Meuse qui avait essaimé ses descendants auprès des rois mérovingiens puis carolingiens.
En cette chaude journée de septembre, les deux enfants suaient  sous leurs robes serrées à la taille par une ceinture de cuir.
La chaleur de fin d’été vint à bout de la vaillance de Robert. Il posa enfin son bâton et releva Eudes.
Robert dominait son frère de toute la hauteur de ses neuf ans. Il le dominait et le protégeait, conscient de ses devoirs. Il débarrassa les genoux du gamin des brindilles y accrochées et passa ses doigts dans l’abondante chevelure blonde pour la rejeter vers la nuque. Rageur, le puiné tentait de se soustraire à cette tardive sollicitude.
-         Laisse-moi !
Eudes se dégagea et prit la direction du château, si tant est qu’on puisse ainsi nommer la motte castrale dans laquelle leur père, le comte Robert, avait pris ses quartiers d’été. On apercevait, à quelques lieues, le donjon en bois de la demeure seigneuriale.
Après quelques minutes et tout en poursuivant leur querelle d’enfants, Robert et Eudes débouchèrent auprès d’une haute palissade de pieux entourée par une fosse profonde. Ils la longèrent et franchirent la douve par un escalier en chêne au sommet duquel deux gardes les saluèrent. Des bâtiments agricoles et des logis apparurent. Le donjon était séparé de ces bâtiments par une autre palissade, un fossé et un pont levis. 
Jamais, les deux gamins ne s’aventuraient du côté de la tour, domaine de leur père. Il n’aurait pas toléré  leur présence au milieu des rudes guerriers francs. Les femmes, occupées aux tâches ménagères, à la cuisine ou dans la basse-cour, étaient logées à même enseigne.
Près de la porte de la demeure principale, une forte femme, les mains sur les hanches, guettait leur approche l’air renfrogné. L’escapade des deux gamins avait duré trop longtemps à son goût et elle en avait éprouvé une sourde inquiétude. Par les temps troublés de cette année 866, de mauvaises rencontres étaient à craindre en chemins de campagne, même aux alentours du castel. Elle les accueillit sans ménagements et, leur haute lignée ne leur épargna pas force taloches sur la route du baquet d’eau qui attendait ces seigneuries en sueur.
L’épreuve du baquet les réconcilia de leurs fraternelles chamailleries et ils envièrent, de concert, les garnements du village, parfois frères de lait, qui avaient droit aux taloches mais pas au bain !
Ermengarde avait été leur nourrice puis leur gouvernante et, malgré le nombre de coups et de frictions qu’elle leur avait donnés, ils aimaient la matrone et surtout, ses galettes de sarrasin.
Une servante fut promptement envoyée dans les appartements seigneuriaux pour avertir la comtesse Adélaïde que ses fils étaient rentrés. Ce n’était là que mission de pure forme. La comtesse, une alsacienne de la lignée des Etichonides ayant, depuis belle lurette, délégué ses devoirs maternels à Ermengarde.
Cent ans plus tôt, la ruée des Alamans avait été brisée par la violente résistance de cette famille franque, rempart des mérovingiens puis des carolingiens aux marches de l’est. Il leur en restait un caractère ombrageux et farouche ainsi que de nombreux domaines en bordure du Rhin.
Etrillés et habillés de propre, Eudes et Robert gagnèrent la cuisine où Bereswinde, la cuisinière,  leur permit de grappiller quelques miettes du repas du soir. Il y régnait une atmosphère tendue en raison de la présence au château de Ramnulf, comte de Poitiers et d’une centaine de ses guerriers. Ces gens là ne se satisferaient pas de quelques galettes et des oies grasses rôtissaient sur la braise ainsi que des jambons et épaules de porcs.
La soirée serait joyeuse, arrosée de cervoise et d’hypocras. Même si les poitevins entendaient mal les accents gutturaux de leurs alliés germains, l’alcool délierait les langues et les servantes auraient de plus en plus de mal à échapper aux bras robustes des convives.
Bougonne, Bereswinde chassa les enfants de sa cuisine et revint au chaudron dans lequel elle avait jeté des choux. Elle goûtait peu ces ambiances débraillées au cours desquelles la soldatesque s’intéressait plus aux poitrines de ses aides, ou aux fesses de ses marmitons, qu’aux rôts et aux volailles.
Demain, la troupe disparate quitterait le château et tout rentrerait dans l’ordre. Elle ne se doutait pas à quel point l'ordre des choses serait bouleversé dans cette partie de la Neustrie, proche des limites orientale de la turbulente Bretagne et des eaux de la Loire, infestées de Normands. 

L'alerte

Adélaïde sut que le comte était entré dans la pièce, d'où elle contemplait parfois les basses collines d'Anjou, par les odeurs de sueur qui assaillirent ses délicates narines. Son époux, massif et de carrure imposante, la contemplait sans aménité depuis le seuil de ses appartements. Il se faisait rare auprès d'elle et encore plus rare dans sa couche depuis la naissance de Robert ,comme si les deux fils qu'elle lui avait donnés suffisaient amplement à combler ses soucis de descendance.
Par ailleurs, le surcôt que la dame avait passé au dessus de vêtements, à peine plus luxueux que ceux de ses servantes, n'avantageait guère sa corpulente silhouette.
Elle n'en avait cure et se satisfaisait de cette situation, les étreintes du compagnon de Charles le Chauve ressemblant plus à des investissements de remparts qu'à des joutes amoureuses. 
Son premier époux, Conrad 1er de Bourgogne, l'avait habituée à plus d'égards. Lorsqu'il était mort, il y a près de dix années, la famille d'Adélaïde avait jugé bon de rechercher une alliance avec la famille des comtes de Hesbaye et de Worms, qui, après avoir servi les rois mérovingiens était bien implantée dans les cours carolingiennes. L'un des ancêtres du comte d'Anjou n'était-il pas Chrodobert, référendaire de Dagobert 1er?
Pour l'heure, les pensées de la comtesse vagabondaient en pays souabe, sur les bords du fleuve majestueux et au cœur des profondes forêts germaniques de son enfance.
Robert fit trois pas vers son épouse.
- Mon amie, j'apprécierais que vous fassiez honneur à mes hôtes en revêtant pour le diner une de ces robes que je vous ai choisies dans les coffres d'Hasting!
Trois mois auparavant, Robert avait surpris huit drakkars embossés dans une courbe de la Loire. Désertés quelques heures par le gros de la bande,occupé à piller un monastère voisin, ils avaient été aisément investis, pillés puis incendiés par les Francs. Au milieu des calices en or et autres objets de culte entassés dans les cales, le comte avait découvert des vêtements de femmes dont les précédentes propriétaires se passeraient aisément. De là où les vikings les avaient envoyées, dument violées puis éventrées, elles ne viendraient pas réclamer leurs oripeaux.
La comtesse eut un haut le cœur mais fit signe qu'elle acceptait. Les désirs de Robert ne souffraient jamais le refus, qu'il vienne de sa femme ou d'une servante à trousser.
- Demain, je partirai à l'aurore avec le comte Ramnulf et tous  nos guerriers. Les Bretons ont passé la Sarthe et sont en route vers la ville du Mans. J'ai fait projet de donner une leçon à ces porcs! 
En 861, Robert avait fait soumission à Charles le Chauve en échange du marquisat de Neustrie. Cette charge impliquait bien des bénéfices mais lui donnait le devoir de défendre la Francie occidentale contre les nombreuses incursions des Bretons et, accessoirement, des Normands. Le roi des bretons, Salomon, n'avait guère de parole. Bien que le territoire situé entre les rivières Mayenne et Sarthe lui ait été octroyé, en 863,  en gage de paix, il avait repris la mauvaise habitude d'envoyer ses guerriers piller la rive gauche de la Sarthe. Il n'hésitait pas, pour cela, à s'allier avec les Normands, installés à demeure sur une ile de la Loire.
- A mon retour, soyez prête à rejoindre notre bonne ville de Tours, nous y prendrons quartier pour l'automne
Abbé laïque de l'abbaye de Marmoutiers, le comte avait coutume d'y passer quelques jours, en automne, pour en recevoir les bénéfices  Charles le Chauve lui avait octroyé les revenus de l'abbaye pour s'assurer ses services depuis que son fils, le prince Louis le Bègue, s'était avéré incapable de contenir les ravages des Normands.
Robert sortit de la pièce comme il y était entré. Son odeur subsista un instant puis Adélaïde put respirer un air moins chargé d'effluves désagréables...

Les bretons et les normands


A moins de cent lieues de la motte castrale de Robert, la horde sanguinaire des Bretons et des Normands, conduite par Hasting lui même, longeait la rive gauche de la Sarthe, semant la terreur sur son passage. Les paysans fuyaient à son approche et allaient se réfugier dans les forêts avoisinantes, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs bêtes. 
De loin, ils observaient cette troupe hétéroclite et bruyante qui remontait la rivière en direction du Mans. Déjà, l'année précédente, une même cohorte était allée piller la capitale du Maine, brulant les églises et étripant les imprudents. 
Les barbares étaient à pied, certains à cheval. Les drakkars des Normands étaient restés en Loire.
Partis de la Batailleuse, une ile où ils s'étaient installées depuis quelques années, les Normands avaient rejoint un groupe de près de deux cents bretons qui les attendait en amont d'Angers. De là, ils avaient remonté la Sarthe jusqu'à un  village nommé Briserthe (Brissarthe).
Sur la rive droite de la rivière ils étaient en territoire breton depuis que Charles le Chauve, par le traité d'Entrammes, avait octroyé le pays d'entre deux eaux au roi Salomon. Cependant, les villages étaient déserts lors de leur passage car l'approche de la horde incitait à la prudence.
A Briserthe, (Littéralement: "Le passage sur la Sarthe") ils avaient traversé la rivière et désormais étaient en Francie occidentale, le royaume de Charles le Chauve. Il leur faudrait près d'une semaine pour rejoindre Le Mans et en revenir. 
La nouvelle de ce raid était parvenue à Robert en une journée grâce à ses guetteurs postés le long de la rivière. Il résolut de leur tendre un piège.
Hasting chevauchait en tête de ses farouches guerriers. Il aimait ces raids sanglants. Bien qu'il ne soit pas de la race des vikings, il avait fini par devenir leur chef en raison de sa bravoure et de son charisme. Dans chaque embouchure de fleuve, dans les iles, en Méditerranée et jusqu'en Italie, on avait subi ses attaques, ses pillages et ses meurtres. Les moines des abbayes proches des côtes avaient été obligés d'emmener les reliques des saints et les objets précieux à l'intérieur des terres, le plus loin possible de ces rivages visités par les drakkars, des bateaux dont le faible tirant d'eau permettait de remonter les fleuves.
En 845, les Normands avaient saccagé Amboise. Rien ne pouvait arrêter ces barbares. Rome n'avait du son salut que parce que Hasting avait pris Luna pour la capitale de l'Italie.
Les faubourgs du Mans apparurent au détour d'une voie romaine sur laquelle les roues cerclées de fer des chariots faisaient un bruit abominable. Une clameur féroce monta des rangs des barbares. Elle glaça le sang des habitants qui n'avaient pas encore fui. Ils se ruèrent vers la ville haute, dans un désordre indescriptible, piétinant les enfants et abandonnant leurs maigres baluchons. 
Le diable n'était rien en comparaison du démon qui approchait.


Le piège


Les deux enfants qui virent défiler la troupe guerrière en partance pour la bataille n'étaient pas princes mais, ils seraient rois. Personne n'aurait pu leur prédire cette destinée. Eudes refusera un jour de détruire un pont, à Paris, pour permettre à 700 drakkars d'aller piller la Bourgogne. Les Grands de Francie occidentale l'éliront roi, en 888, en lieu et place de Charles le Gros, un carolingien sans âme guerrière. Robert portera cette même couronne en 922 après que Charles le Simple, un autre carolingien, eut été déposé. Il mourra l'année suivante dans des circonstances mystérieuses. La légende colporte que ce fut lors d'un duel avec Charles le Simple.
Pour l'heure, le comte Robert, marquis de Neustrie, chevauchait à la tête de ses guerriers francs en compagnie de Ramnulf. Il avait décidé de gagner rapidement les rives de la Sarthe. Les paysans le regardaient passer et le saluaient bas.  Les francs composaient l'aristocratie dominante du royaume et nul ne songerait à s'opposer à leur hégémonie. Ils avaient remplacé depuis  quatre siècles les soldats romains, repartis en Italie sous la poussée des barbares venus du nord et de l'est. Si les wisigoths n'avaient fait que passer, les francs, eux, avaient occupé les villes et les seigneuries, placé des comtes et des ducs, occupé le terrain avant de  repousser les frontières.
Ils parlaient une langue gutturale que les paysans ne comprenaient pas. Le tudesque était rude et grossier.  En 842, le serment de Strasbourg fut encore écrit dans cette langue. Il aboutit au traité de Verdun qui scella le destin de l'empire de Louis le Pieux, partagé entre ses trois fils survivants. 
Robert, qui avait combattu aux côtés de Charles le Chauve fit partie des bagages que celui-ci emporta dans le fief occidental qui lui était attribué.
Robert revoyait les deux décennies écoulées depuis ce traité. Elles avaient été émaillées de batailles sanglantes, avec les bretons ou les normands. Il avait été longtemps en révolte contre son roi et même allié des bretons quand Charles favorisa trop son fils, Louis le Bègue, un prince chétif, sans panache et sans charisme.
Depuis 861, Robert était redevenu le loyal serviteur de Charles, bien décidé, aujourd'hui, à châtier les bretons qui ont outrepassé les frontières de la marche dont il a la charge.
Derrière lui, la troupe suait sang et eau sous les casques et les grossiers vêtements de cuir. Les peaux cousues qui servaient de chausses protégeaient mal des cailloux des mauvais chemins qu'ils empruntaient. Parfois, une voie romaine bien orientée offrait ses larges dalles à leur avance mais, pour rejoindre au plus vite Brissarthe, ils empruntaient le plus court chemin.
Car les deux comtes avaient fait le pari que le parti adverse repasserait par ce village, là où la Sarthe moins profonde proposait un gué. C'était le seul endroit où des chariots chargés de butin pouvaient traverser. Inutile d'épuiser la troupe à une vaine poursuite, les francs fondraient sur les barbares au moment même où ils penseraient retrouver la sécurité du royaume breton.
Au détour d'un dernier tronçon de voie romaine, les francs aperçurent le clocher d'une église. Pour l'époque, elle était immense et, fait encore plus rare, elle était en pierres. Ils traversèrent la rivière. Les paysans les  accueillirent sans animosité car, ils n'étaient devenus bretons que par la volonté de leur roi, en 863. Ils appréciaient peu leurs nouveaux maîtres. Frustes et avides, ces derniers leur laissaient une part dérisoire des récoltes.
Ils désignèrent à Robert ceux qui pourraient dénoncer sa présence. Ces derniers furent promptement occis. Brissarthe était entouré de hautes collines. Les francs s'installèrent sur ces promontoires naturels d'où ils pourraient surveiller l'autre rive. Puis, ils attendirent.
 La bataille
Robert le Fort, comme l'appelleront bien plus tard les historiens qui relateront cette histoire, avait disposé ses guerriers sur les flancs des collines jouxtant le village, dans des chemins creux et derrière les masures paysannes.
Une centaine des francs étaient restés sur la rive opposée, cachés avec les mêmes précautions. Il leur fut interdit de bivouaquer, de parler, de faire du feu.
De loin, Robert pouvait apercevoir une partie de la voie romaine . Perpendiculaire à la rive, elle s'enfonçait dans les terres entre deux haies d'aubépine. Les eaux étaient très basses, après un mois d'août frappé par une sévère sécheresse. La voie semblait continuer son chemin sous les eaux, comme si les romains, quatre siècles auparavant, avaient voulu paver la rivière elle même.

Les bretons et les normands avaient laissé Le Mans dans un état de chaos indescriptible. La cathédrale, ou tout au moins l'édifice en bois qui en tenait lieu à l'époque, était en feu. Des corps gisaient dans les ruelles basses et les ruisseaux charriaient du sang. 
Trainant de lourds chariots, attelés de bœufs, les barbares avaient repris la voie qui les avait amenés dans la capitale du Maine. Le butin était important. Des calices et des ostensoirs débordaient des coffres de l'évêque, mêlés à des
bijoux d'or et d'argent. L'une de ces charrettes emmenait des captives  enchainées. 
Ivres d'hydromel et de vin, les vikings regardaient d'un mauvais œil les bretons qui s'approchaient trop des richesses pillées. Le partage ne serait pas aisé entre ces deux partis, aussi différents dans leurs mœurs qu'ils étaient semblables dans la cruauté. 
La meute était talonnée par le comte du Maine, Gauzfrid, arrivé trop tard dans la ville mais bien décidé à en découdre. Près de quatre cents guerriers francs suivaient la trace, écumant de rage. Gauzfrid était un lointain cousin de Robert, de la branche cadette des robertiens, animé par le même orgueil et le même courage. 
Hasting pressait l'allure pensant mettre la Sarthe entre ses poursuivants et ses guerriers et organiser sa défense sur la rive droite, en pays breton.
Parvenu à deux lieues du "bria", le passage, il envoya des éclaireurs qui ne virent rien d'anormal. Une lieue correspondant, à cette époque, à la distance parcourue en une heure par un homme à pied, ils seraient à Brissarthe dans deux heures.
Robert et Ramnulf avaient entendu la horde des pillards bien avant de l'apercevoir. Ils revêtirent leur broigne, une grossière cuirasse faite d'anneaux de bronze, cousus sur du cuir, qui descendait jusqu'aux genoux et se portait sur une tunique légère.
En début de soirée, les premiers bœufs apparurent en fin de chemin. Poussant une clameur de joie, les bretons engagèrent les chariots dans le gué, piquant les bœufs de leurs épées. Le désordre était grand, chacun voulant mettre sa carcasse à l'abri des poursuivants. Alors que le dernier chariot était au milieu de la rivière, les guerriers de Gauzfrid apparurent sur la berge, rejoints aussitôt par ceux que Robert avait laissés en place. 
Hasting et ses guerriers achevèrent la traversée puis, firent face aux arrivants. Sortis de la rivière ils pensaient être en position de force. Lorsqu'ils entendirent les vociférations de la troupe que Robert avait massée dans le village, ils comprirent que le sort basculait dans le camp des carolingiens. Ils étaient pris entre deux groupes plus nombreux.
Les francs débouchèrent dans leur dos en poussant des hurlements de damnés et entrèrent dans la masse des bretons et des normands. Robert, dont la stature impressionnante dominait la scène  de la bataille, exhortait ses soldats de la voix et du geste, taillant dans la masse à grands coups d'épée. Les barbares refluèrent, abandonnant leur butin et leurs captives.
Il existait, à Brissarthe, une ancienne et vaste villa romaine, dominée en son centre par une grande église de pierre. On appelait "villas", à cette époque, des domaines agricoles, de plusieurs acres, comprenant des maisons d'habitations, des dépendances agricoles et des terrains cultivés. 
Robert comprit trop tard son erreur tactique lorsqu'il vit les survivants des pillards s'engouffrer dans la grande bâtisse et s'y enfermerr. Hasting était lui même entré dans l'église et, rapidement, ses hommes s'étaient barricadés et placés aux hautes et étroites fenêtres de l'édifice.
La soirée était bien avancée mais encore très chaude en ce mois de septembre caniculaire. Les trois comtes, rejoints bientôt par Hervé, un autre seigneur du Mans, se concertèrent. L'église était cernée mais, le combat serait rude pour investir cette véritable forteresse. L'approche en était dangereuse car de hautes et étroites fenêtres avaient été prévues, tout autour de la nef, pour défendre l'église.
Ils décidèrent de reporter l'assaut final au lendemain, de laisser leurs troupes se reposer. La décision fut accueillie avec soulagement par les soldats.
Une sorte de bivouac s'organisa sous les murs de l'église. Certains restèrent vigilants, debout près de leurs armes, d'autres se laissèrent tomber sur le sol, terrassés par la fatigue du combat.
Robert, lui même, ôta sa broigne et regarda, songeur, les hauts murs qui protégeaient désormais Hasting de sa vengeance. Le misérable ne perdait rien pour attendre. Demain, il l'égorgerait de sa propre main!
Hasting, réfugié derrière une des meurtrières de la nef, observait les carolingiens. Ainsi disséminés en petits groupes dont certains semblaient démobilisés, ils offraient des chemins de fuite inespérés. Il rassembla les plus vaillants de ses hommes près du porche principal et, silencieusement, fit ôter les étais qui empêchaient son ouverture.
Soudain, une clameur énorme jaillit de cent gorges lorsque les bretons et normands jaillirent dans le camp. Le diable s'invitant sur la scène n'eut pas eu d'effet plus désastreux. L'effet de surprise joua. Les barbares allaient dénouer l'étau de leurs ennemis lorsque Robert bondit, entrainant de la voix ses hommes, dont certains étaient aussi vulnérables que lui, revêtu de sa simple tunique de drap. Ils étaient sur le point de vaincre lorsque Robert, frappé d'un coup de lance en travers de la poitrine s'écroula. Les bandits le trainèrent dans les murs et refermèrent le porche.
Ramnulf était resté à l'écart, médusé. Il ressentit une vive douleur dans la poitrine et, baissant la tête, constata qu'une flèche y était fichée. Tirée par une des meurtrières de l'église, elle le coucha sur le sol, blessé mortellement.
En cette époque où la discipline ne faisait pas encore la force des armées, il fut impossible de retenir les survivants du parti franc. La panique gagna leurs rangs et ils passèrent en désordre sur la rive opposée.
La victoire avait changé de camp.
Les vikings accompagnèrent cette retraite jusqu'à la rive et en frappant en cadence du plat de leurs épées sur leurs boucliers ronds, ils firent connaitre à toute la contrée que Robert, comte d'Anjou, venait de croiser sa destinée!
Le corps du marquis disparut. Nul ne put lui rendre hommage. De nos jours, on le cherche encore. 
La nouvelle du désastre mit plusieurs jours à gagner la cour de Charles le Chauve. Il venait de perdre son meilleur rempart contre les bretons et les normands. L'année suivante il octroya à Salomon les terres du Cotentin, achetant ainsi une paix relative. 

Epilogue:
Eudes et Robert furent confiés à leur oncle, Hugues l'Abbé. Ils furent rois, en 888 et en 922. Ce fut le puiné, Eudes, qui accéda le premier à cet honneur. Son frère ainé, Robert, fut d'abord un fidèle vassal de Charles le Simple avant de le combattre puis de lui succéder.
Le fille de Robert, Emma, épousa Raoul, fils du duc de Bourgogne. Raoul sera roi en 923.
Le fils de Robert, Hugues le Grand, préféra faire revenir d'Angleterre un descendant des carolingiens qui fut roi sous le nom de Louis d'Outremer.
Le fils d'Hugues le Grand, Hugues Capet fut élu roi en 987.
La dynastie des capétiens régna jusqu'à ce qu'une guillotine mette fin à leur règne.

Mais c'est là une autre histoire.
Eudes couronné roi en 888

samedi 3 septembre 2011

Les chocolats Guérin Boutron récoltent un zéro pointé en Histoire

On peut produire un excellent chocolat sans connaitre l'histoire de France.
Robert le Fort était mort depuis un moment quand Charles le Gros gouverna la Francie!
Pas de  bon point ni d'image pour cette fois!
*
En fait, il s'agit de son fils, Eudes au profit duquel, d'ailleurs, Charles le Gros fut déchu de son titre de roi.

jeudi 1 septembre 2011

Ambiance automnale. Petit texte à la manière de Philippe Delerm dans "Le trottoir au soleil"..

Comme Michel Jonasz dans sa boite de jazz, je me suis lancé dans une imitation de Philippe Delerm. 
J'ai, parfois, des difficultés à entrer dans ses textes.
Voyons voir!
 ***
C'est juste un banc de bois au bord d'une terrasse gravillonnée. Sur trois côtés des fleurs offrent leurs couleurs vives. Un immense et vieux saule pleure ses longues branches jusqu'à la pelouse clairsemée.
Le petit chat m'observe sous les frondaisons. Il serait beau, n'était cette tâche grisâtre qui salit le milieu de sa tête bombée. Il est blanc et sauvage. On fait semblant de ne pas le voir. Il ne faut pas bouger, ne pas faire crisser les cailloux sous les sandales. Une main flotte à sa portée, il s'y frotte, tendu. Un doigt puis deux grattent la tâche grise. Ronron.
Lorsque j'ai découvert sa fratrie dans le hangar aux tondeuses, je n'ai rien fait. Désormais, ils sont quatre à hanter mon jardin. J'ai été lâche. Ou paresseux. Ils mourront d'une rencontre avec un chasseur. On s'en lave les mains. C'est la vie. La mort.
La balançoire est vide, immobile, muette et, signe d'abandon, une épeire a tissé sa toile entre les cordes. Le soleil de septembre a prolongé les ombres, écourté sa visite et réchauffé l'étang.
Rien d'autre ne trouble la paix que le bruit étouffé des pêches. Libérées par les branches qui ploient, elles roulent dans l'herbe et sont cueillies au pré, comme des œufs de Pâques. L'air est immobile. Le temps s'écoule. La vie s'arrête. La perspective, bornée, enferme mon repos dans un écrin de verdure.
Ne pas aimer. Ne pas s'attacher. Ne pas voir la beauté des êtres et n'admirer que la beauté minérale des choses.  Je suis bien.
Ouvert à la page du ballon jaune, le livre git sur le bois vermoulu.
Du Delerm, ça paraît facile! Il n'en est rien!
Je vais aller boire une deuxième gorgée de .... cidre!

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