vendredi 19 octobre 2001

essai


BRISSARTHE, un haut lieu de l’histoire de France.
L'église de Brissarthe fut le théâtre d'un événement historique de première importance et, depuis plus de onze siècles, le fantôme du comte d'Anjou, Robert le Fort, erre entre ses murs, étonné de voir la manière dont le sculpteur David d'Angers l'a représenté, cheveux aux vents, avec une hache dans la main droite alors que c'était une épée. Lui qui se protégeait avec un bouclier rond, observe le magnifique bouclier triangulaire dont l'a doté l'artiste. Il s'amuse de la perplexité des historiens quant à l'endroit où il fut enterré. Lui même ne le sait pas qui a vu les normands charger sa dépouille dans un chariot afin de la soustraire à la vénération des siens. Comment cela j'invente! Il me l'a dit lui même lors d'une de nos rencontre près du sarcophage mérovingien où il se réfugie la nuit pour dormir. Et, croyez moi, il s'inquiète de l'avenir de notre église quand des petits morceaux de la voute atterrissent à ses pieds. Et il m'a chargé de vous le dire: "
Sauvez l'église de Brissarthe, parce qu'elle le mérite!".
Observez ce saisissant tableau de Henri LEHMANN, conservé au musée national des châteaux de Versailles et Trianon.
Il fut commandé par Louis Philippe vers 1837 et illustre la bataille de Brissarthe. Robert le Fort y trouva la mort en 866. On notera le portail de l'édifice qui, sans doute, était moins imposant à cette époque. Mais, notent certains chroniqueurs, l'église était déjà en pierres, ce qui démontre l'importance de ce village au IXème siècle
.L'histoire:
Et pour commencer, les raisons de la présence de Robert en Anjou.
Charlemagne (742-814) est couronné empereur, par le pape Léon III, le 25 décembre 800, voilà une date facile à retenir. Au lendemain de sa mort en 814, son vaste empire est borné à l'ouest par l'océan Atlantique (sauf la Bretagne), au sud, par l'Èbre, en Espagne, par le Volturno, en Italie ; à l'est par la Saxe, la rivière Tisza, les contreforts des Carpates et l'Oder ; au nord par la Baltique, le fleuve Eider, la mer du Nord et la Manche.
Louis le Pieux (778-840) transmettra à ses fils, le jour de sa mort, un empire équivalent en superficie.
Charlemagne et son fils Louis le Pieux
Le problème est que, contrairement à ce qui s’est passé pour lui-même, seul survivant des fils de Charlemagne au moment de la mort de l’empereur, il laisse quatre fils dont le plus jeune, Charles, est né d’un second mariage.
S’ensuit une longue suite de batailles entre les quatre frères, qu’il serait trop long de vous narrer ici.
Finalement, Le traité de Verdun (843) partage en trois l'ancien empire de Charlemagne.


Pour résumer:
- Louis (le germanique) se voit attribuer ce qui se trouve à l'est du Rhin, ce qui correspond quasiment à l'Allemagne Fédérale amputée de la rive gauche du Rhin.
- A Lothaire, échoit une contrée allant de la Hollande actuelle au nord de l'Italie.
- Charles (II le Chauve) obtient tout l'ouest de la France actuelle, du nord au sud, sans la Bretagne.
A noter que le quatrième fils, Pépin est décédé en 838, avant le partage, sinon il eut fallu couper en quatre!
Ces quatre là se sont déjà bien battus avant le fameux traité. Il faut dire que Charles n'est qu'un demi frère des trois autres, conçu par Louis le Pieux avec une certaine Judith de Bavière, après que Ermengarde ait rendu l'âme.
Bref, comme dirait Pépin* , le gâteau a été coupé en trois.
Or, notre Robert, qui ne s'appelle pas encore Le Fort, est né en Rhénanie, entre 810 et 820, de Robert III de Hesbaye et de Waldrade. Nous sommes, en ce qui le concerne, dans une famille franque très influente, dans la lignée des Robertiens. Logiquement, il devrait faire allégeance à Louis mais, bizarrement, il se rallie à Charles.
Son destin sera désormais lié à celui de Charles le Chauve, nous verrons plus loin en quelles circonstances.
J'appelle votre attention sur une curiosité de la carte ci-dessus, extraite d'un vieux livre d'histoire. Les villes qui y sont portées sont: "Paris, Reims, Cambrai, Amiens, Lyon, Orléans, Bordeaux, Toulouse, Fontanet (Voir Bataille de Fontanet), Fraxinet et Brissarthe! Je vous assure qu'il n'y a aucun trucage!

Les Normands.
En cette même époque, les riverains de la Seine, de la Loire et de bien d'autres fleuves, voient passer de drôles de bateaux, peuplés de drôles de marins, pas très sympathiques, c'est le moins qu'on puisse dire Quand ils s'arrêtent, ils pillent, violent, torturent et font passer de vie à trépas bon nombre de ressortissants locaux. Ces hommes du nord (Normands) deviennent très encombrants.
La carte ci-dessus montre que nous sommes surtout concernés par des vikings venus du nord de la Scandinavie (Norvège actuelle) et des régions correspondant aux actuels pays baltes. Qu'importe, ils posent problème et Charles le Chauve en perd ses derniers cheveux.
Les Bretons
Nous avons remarqué que la Bretagne est  hors du giron de la Francie. Or, les bretons sont assez belliqueux et Charles est obligé de leur donner quelques gages importants. Notez qu'en 866, la partie occidentale de l'Anjou, dont Brissarthe, par exemple, appartient aux bretons qui se sont engagés, en échange, à rester calmes.
Le roi de la Bretagne, en 866, est Salamun. En 857, il a fait assassiner son prédécesseur, Erispoé, dans une église. En 863, par le traité d'Entrammes, il obtient de Charles le Chauve la contrée située entre les rivières Sarthe et Mayenne.
En 874, il sera assassiné par son gendre Pascweten et par le gendre d'Erispoé, Gurvant. Pour la petite histoire, sachez que ses bourreaux lui arrachèrent les yeux, ce dont il mourut dans la nuit.
De nos jours, Salamun est vénéré par les bretons en tant que Saint Salomon (ou Salaün) bien que l'Eglise ne l'ait pas reconnu comme saint.
Robert le Fort devient marquis.
Depuis 852, Robert est comte d'Anjou et de Touraine. Plus tard il sera également comte d'Orléans et  de Blois. Le roi lui confie également la charge de protéger une partie de la Neustrie, contre les bretons. C'est ce qu'on appelle une Marche, et cela lui octroie les prérogatives d'un Marquis.
Une autre marche est créée, en Neustrie également mais plus au nord. Elle est confiée à Adalard le Sénéchal. Elle est tournée vers ces hommes du nord, déjà incrustés dans cette contrée à laquelle ils donneront leur nom, la Normandie.
Vous pouvez constater sur la carte ci-contre que la Neustrie (Entourée de jaune) correspond, de nos jours, à une vaste région s'étendant de Tour à Soisson et des frontières de la Bretagne au delà de Reims. Vous suivez toujours?
La bataille de Brissarthe
A la fin de l'été 866, les Normands font alliance avec les Bretons pour retourner au Mans, dévasté une première fois en 865 et où il doit bien rester quelques trésors à piller.
Ils partent de Saint-Florent-le-Vieil, où ils ont une base permanente, remontent la Sarthe jusqu'à Brissarthe, traversent à gué, et vont au Mans.
Pourquoi Brissarthe me direz-vous? Et bien , à cette époque, c'est le seul endroit où on peut traverser la rivière avec des chevaux, des chariots et autres objets lourds. Bris veut dire pont, passage ou gué, en gaulois, et il est admis que c'est l'étymologie du nom de ce village.
(briva (= pont) ou variante bria : Brive, Chabris, Samarobriva (ancien nom d’Amiens), Briva Isara (ancien nom de Pontoise), Briovera (ancien nom de Saint-Lô), etc..)
Notez bien que ce qui est vrai à l'aller, le sera au retour, et Robert  (ci-contre à gauche) a le temps de préparer un accueil musclé pour les compères pensant, à juste titre qu'ils vont réapparaitre dans quelques jours.
Il est flanqué de Rannoux, comte de Poitiers, et de Hervé et Geoffroy, des comtes du Maine. Cela fait environ huit cents hommes décidés à en découdre avec les Bretons et les Normands.
Nous devons à Réginon de Prüm ( à gauche) le récit de la bataille. Certes, cela fut écrit quarante ans plus tard mais nous n'avons rien d'autre sous la main.
Faisons bref.
Surpris par le guet-apens, taillés en pièce, les bretons et les normands se réfugient dans l'église. C'est un édifice en pierres, fait rare en cette époque. Retranchés derrière les murs, ils sont difficiles à combattre.
Il fait chaud, l'arbitre siffle la mi-temps, et tout le monde va prendre sa douche.
Malheureusement, les pillards en profitent pour effectuer une sortie. Il semble que Robert néglige d'enfiler sa broigne et de remettre son casque. Blessé à mort à l'entrée de l'église, il y est entrainé par l'ennemi. Rannoux est blessé par une flèche tirée d'une fenêtre de l'édifice. Geoffroy est tué, Hervé  est blessé.                                                                                   
C'en est fini de la détermination des francs. Sans leurs chefs, ils se débandent et rentrent chez eux. C'est le triste épilogue de cette bataille, peu connue, mais qui eut un réel impact sur l'avenir de notre pays. Le surnom de Le Fort ne sera attribué que par la suite à Robert, ce qui est le lot habituel des héros, encensés post mortem.

La mort de Robert le Fort, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.


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