dimanche 6 avril 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Une éprouvante retraite.




Une éprouvante retraite



24 au 29 août 1914

Dans le flot de l’armée française.



Quand nos trois amis sont arrivés à Sugny, leur épuisement était tel que l’apparition de Joffre lui-même n’aurait pu les empêcher de sombrer dans une sorte de coma. Les officiers avaient du renoncer à établir le bilan exact des pertes tant cette troupe s’était massifiées dans une douloureuse torpeur. Un cauchemar collectif hantait pourtant ces jeunes hommes, ils geignaient et s’agitaient parfois en des fuites immobiles, se dressaient, hagards, guettaient la nuit puis retombaient en travers de leurs sacs pour ceux qui l’avaient encore.

24 août. Les sergents secouèrent cet amas de corps à 4H30 du matin. Et réussirent à les mettre debout. Ils ne protestaient pas, se levaient et ramassaient leur fusil.

A 5H00, ils étaient en route. On demandait à cette troupe clairsemée de protéger la progression de l’Artillerie du corps vers Saint-Laurent. Après avoir passé la frontière et parcouru les 15 km qui les séparaient de cette ville, ils n’avaient toujours pas pris contact avec les fameux artilleurs. On les laissa souffler une heure avant de les diriger sur Mezières. Le 77ème Régiment d’Infanterie, deuxième élément de leur brigade s’y trouvait déjà.

Mais, l’ordre est rapporté. Ils traversent Montcy-Saint-Pierre et Montcy-Notre-Dame et finissent par atterrir à Charleville.

Une journée presque facile, si on la juge à l’aune du précédent massacre, récompensée par une soupe chaude à 19H00. Certains n’ont rien avalé depuis 24 heures.

25 août. Les sergents secouèrent cet amas de corps… Disons le tout-de-suite, cette scène du réveil se répétera pendant des jours et des jours. Il faut croire que le fantassin en guerre n’a pas la même horloge interne que le civil, du moins c’est ce que pensent les généraux.

Accompagnons Castor, Pollux et Jean-Baptiste sur les routes des Ardennes. Elles sont encombrées de troupes en déroute. Il n’y a pas d’autres mots. C’est une époque de marches harassantes, sous un soleil de plomb.

Le Journal des Marches et Opérations indique sobrement qu’ils sont : « extrêmement fatigués ». c’est sans doute là un euphémisme militaire.

Les ardennais qui les ont vu monter vers la Belgique, il y a quelques jours, les voient, sidérés, repasser dans l’autre sens.

En ce jour, ils passent devant le château de Grange-aux-Bois, sur les talons du 77ème R.I. et vont cantonner à Bogny.

26 août. Cela fait trois jours qu’ils n’ont pas quitté leurs godillots, ni leurs pantalons.

Départ à 5H00 pour Sormonne où ils organisent une position défensive avec l’aide du Génie.

Les fantassins apprennent avec soulagement qu’un bataillon isolé vient d’être adjoint à leur unité. C’était le 3ème bataillon du 32ème Régiment d’Infanterie, il devient le 4ème bataillon. Ces hommes, arrivés le 20 août en Belgique, avaient côtoyé le 135ème R.I. dans les phases du retrait. Ils avaient participé, par exemple, à la garde des ponts de Alle.

Nous les retrouverons désormais aux côtés de leurs camarades, notamment le 30 août, à Auboncourt. Ils y prendront leur part de gloire.

Le 77ème R.I. occupe bientôt les positions aménagées alors que le 135ème R.I. avance vers Murtin. Il cantonne dans les environs vers 21H30.

27 août. Départ à 4H00. Ils rejoignent Thin-le-Moutier.

28 août. Les Allemands sont alors aux portes de Charleville-Mezières qui se déclare ville ouverte. Le Lieutenant-Colonel Graux, qui a remplacé le colonel de Bazelaire, évacué, est sans doute un des seuls à savoir l’ennemi si proche. Le 77ème R.I. est sur le flanc gauche de notre régiment, plus proche encore de l’ennemi. D’ailleurs, une canonnade se fait entendre de son côté. Les Allemands sont à Warnécourt, à moins de 4 km.

Ce soir là, le cantonnement se fait à Guignicourt.

29 août. La proximité des troupes ennemies est sans doute la raison d’une nuit encore plus courte que d’habitude. Les bataillons partent à 2h00 en direction de Rethel. C’est une marche forcée épuisante, par nuit noire. La troupe est ordonnée mais sent que l’ennemi est à ses trousses. Des lueurs, au nord, signalent des incendies.

Comment un régiment aussi éprouvé pourra-t-il contrecarrer l’irrésistible poussée des Prussiens ? Pourtant, il prend position au sud-est de Puisieux puis au nord de Sorcy, le long d’une voie ferrée.

Les ordres arrivent. Il faut tenir le secteur d’Auboncourt, Lucquy, Faux. Les bataillons organisent les défenses et font face au nord, tournés vers la meute de leurs poursuivants.

Le renfort de 500 réservistes, venus directement d’un dépôt, n’est pas fait pour les rassurer. Certes, le régiment est de nouveau au complet

Une seconde tragédie est en train de se mettre en place.

Pour beaucoup de ces soldats, survivants de Bièvre ou réservistes fraichement arrivés, cette nuit sera la dernière.



Le Petit Journal titre, en première page :

« Les inquiétudes de l’Allemagne» : Si nous pénétrons en Belgique, disait M de Jagow à l’ambassadeur anglais, c’est parce que nous ne pouvons pas faire autrement.

« Un communiqué anglais » : Une force importante d’infanterie de marine a été débarquée à Ostende. (Churchill)

« Leur fourberie » : Un officier allemand s’était habillé en prêtre pour tendre un guet-apens à nos soldats.


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