samedi 5 avril 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Le baptême du feu.



Le baptême du feu


23 août 1914
Un massacre.

Pierre PERRAULT et François VIVIEN sont adossés, avec leurs camarades du 1er bataillon, contre le remblai nord de la route qui mène de Bièvre à Houdremont Depuis qu’un instituteur de la Doutre a expliqué que Bièvre, cela voulait dire castor, il les surnomme Castor et Pollux.
- « Pourquoi Pollux ? » a dit François.
     - « Trop long à expliquer » a dit l’instituteur.
Le chef de bataillon de Lavalette attend un ordre d’attaque qui ne viendra jamais.
Les balles commencent à siffler à ce moment là ! Il est 7H00. C’est une fusillade nourrie. Elle provient des bois situés au nord-ouest du village. La 9ème compagnie y est aux prises avec les Allemands, débordée, décimée, elle se replie vers Bièvre. Elle paie son tribu à la faucheuse.
De position d’attaque, la route d’Houdremont passe au statut de position de défense. Il suffit de la traverser et de s’en servir comme d’un rempart.
On s’y agrippe.
On peut voir nettement l’ennemi prendre position sur la crête nord-ouest de Bièvre. Ils disposent, depuis cette côte, d’une vue imprenable sur l’escarpement tenu par le 1er bataillon. L’Etat-major du régiment est avec ce bataillon.
L’enfer se déchaine. L’Artillerie allemande règle ses tirs sur des arbres qui bordent la route. Des sections entières disparaissent sous les impacts. Certaines se débandent dans les près alentour. Les officiers s’efforcent de remettre de l’ordre. Le commandant de Lavalette est atteint à la jambe en cherchant à regrouper ses hommes.
Le pilonnage est méthodique. Rien n’a préparé le régiment à un tel déluge de fer et de feu. On ne peut que subir, chercher à disparaître dans le sol. Les Français font connaissance avec les obus à balles, inconnus dans nos forces, avec les obus de calibre 105 qui tombent en salves répétées.
Les artilleurs ennemis explorent chaque pouce de terrain du bout de leurs canons, secteur par secteur. Rien n’est épargné à nos fantassins.
Le village subit le même sort. Les maisons sont en flamme. Les civils fuient vers le sud.  A l’est, le 2ème bataillon est en pleine retraite.
Castor et Pollux ne font plus qu’un, ils ont sauté dans un entonnoir creusé à quelques mètres d’eux, dans la pierraille du talus. Ils ne bougent plus, ne pensent plus, ne pleurent plus. Ils attendent l’obus qui les ensevelira dans ce trou, ou un ordre de repli.
Bien que blessé, à 9H00, par un éclat d’obus, le colonel de Bazelaire donne l’ordre de renforcer les quelques sections qui continuent à tirer sur l’ennemi, à l’avant du dispositif.


Des mitrailleuses postées à l’entrée ouest de Bièvre arrosent les positions ennemies avec succès. Une salve d’obus, bien ajustée, les réduit au silence. Les deux lieutenants qui les commandent, Sulfourt et Jannin, s’en sortent par miracle. Gaston Sulfourt sera tué une semaine plus tard à Faux, dans les Ardennes.
Le colonel fait parvenir au 2ème bataillon, un ordre de repli. Lui-même, avec le drapeau du régiment, gagne les bois du sud.
Il est 10H45. Cela fait plus de 3 heures que nos forces subissent pilonnage sur pilonnage.
En bon ordre, échelon par échelon, les bataillons commencent à gagner le sud. C’est sans compter avec les observateurs allemands qui font allonger le tir au fur et à mesure de la progression des premières troupes vers les bois.
C’est une hécatombe.
Le repli s’organise donc différemment, les sections avancent en oblique vers l’endroit où la route de Bièvre à Bellefontaine entre dans les bois. Castor et Pollux, qui maudissaient le sous-lieutenant de Bazelaire, leur chef de section,  de ne pas donner l’ordre de repli dès 10H45, bénéficient de cette nouvelle tactique. Ils franchissent, haletants, l’orée de la forêt, sains et saufs. Ils ne s’arrêtent pas pour autant sous les fraiches frondaisons et obliquent vers le sud, pressés de fuir l’enfer. Bellefontaine voit passer les débris de ce qui fut un beau régiment. Les blessés sont portés sur des brancards de fortune. Les morts sont restés sur place, mélangés à la terre.
Tous se rassemblent à Petit-Fays.
A Bièvre, les Allemands font creuser une grande fosse dans laquelle ils jettent, pèle mêle,  plus de 500 cadavres de fantassins. Ils ne prennent même pas la peine de relever les identités de ces malheureux. On dit que, pour bien remplir la fosse, ils fusillent quelques civils belges.
Bien plus tard, vers la fin de la guerre, les Allemands feront rouvrir cette fosse pour y recueillir les identités des soldats français, afin que ce manquement aux lois de la guerre ne leur soit pas reproché.
Pour l’heure, la course vers le sud continue. Les rescapés, hagards, marchent jusqu’à Vresse où ils franchissent la Semois. Ils s’arrêtent un instant à Laforêt, mais c’est un court répit. Il faut enrayer l’avance ennemie en organisant la rive gauche de la Semois. A un km plus à l’est, deux compagnies et une section de mitrailleurs prennent position sur le pont de Alle.
Le reste du régiment parcourt encore 5 km vers le sud et les hommes peuvent enfin s’effondrer sur de vagues litières de paille, à Sugny.
La frontière française n'est plus qu'à deux km.
Les hommes se comptent. Les amis se cherchent. Les pays se retrouvent. Il manque un fantassin sur deux. C’est inimaginable et pourtant vrai. Il manque 17 officiers et 1500 soldats, blessés, tués ou disparus. Ils ont été placés sous un énorme marteau pilon. Certains n’ont pas tiré un seul coup de fusil. Tous savent maintenant que la guerre sera cruelle, effrayante et longue. Ils n’imaginent pas encore qu’elle va durer 4 ans.
La nuit, elle, sera très courte.

Le Petit Journal titre, en première page :
« Sans foi ni loi» : La France qui a la plus grande confiance dans la bravoure de ses armées et dans la tactique de leurs chefs, attend avec une anxiété bien naturelle le résultat des grandes batailles livrées sur toute sa frontière.…
« Encore des atrocités » : A Aershot, les troupes prussiennes ont fusillé en bloc, froidement et sans motifs, le bourgmestre et un groupe d’habitants qui l’accompagnaient.
« L’officier incendiaire d’Affleville » :26 tués, 6 blessés, 6 chevaux tués, Allemands : 2 blessés. Certains témoins  reconnurent immédiatement l’incendiaire.


       

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