dimanche 4 septembre 2011

Histoire romancée de la bataille de Brissarthe. Mort de Robert le Fort et du comte Ramnulf de Poitiers.

J'ai regroupé sur ce billet les cinq épisodes de l'histoire romancée de la bataille de Brissarthe parus précédemment.
Texte de Zabulle

Le château

La branche de coudrier résonna sur le bouclier rond. Sans ménagements, Robert avait abattu de nouveau son arme de fortune sur l’umbo central et l’enfant fléchit sur ses jambes. Protégeant sa tête avec le fragile rempart en bois, il tentait de cingler les mollets de son frère avec une badine de saule mais ne parvenait pas à ses fins.
Eudes se mordit les lèvres pour ne pas demander grâce sous les assauts de son ainé et recula sous les coups répétés. Agé de sept ans, il possédait déjà la rude noblesse de cœur des Robertiens, une famille franque des bords de Meuse qui avait essaimé ses descendants auprès des rois mérovingiens puis carolingiens.
En cette chaude journée de septembre, les deux enfants suaient  sous leurs robes serrées à la taille par une ceinture de cuir.
La chaleur de fin d’été vint à bout de la vaillance de Robert. Il posa enfin son bâton et releva Eudes.
Robert dominait son frère de toute la hauteur de ses neuf ans. Il le dominait et le protégeait, conscient de ses devoirs. Il débarrassa les genoux du gamin des brindilles y accrochées et passa ses doigts dans l’abondante chevelure blonde pour la rejeter vers la nuque. Rageur, le puiné tentait de se soustraire à cette tardive sollicitude.
-         Laisse-moi !
Eudes se dégagea et prit la direction du château, si tant est qu’on puisse ainsi nommer la motte castrale dans laquelle leur père, le comte Robert, avait pris ses quartiers d’été. On apercevait, à quelques lieues, le donjon en bois de la demeure seigneuriale.
Après quelques minutes et tout en poursuivant leur querelle d’enfants, Robert et Eudes débouchèrent auprès d’une haute palissade de pieux entourée par une fosse profonde. Ils la longèrent et franchirent la douve par un escalier en chêne au sommet duquel deux gardes les saluèrent. Des bâtiments agricoles et des logis apparurent. Le donjon était séparé de ces bâtiments par une autre palissade, un fossé et un pont levis. 
Jamais, les deux gamins ne s’aventuraient du côté de la tour, domaine de leur père. Il n’aurait pas toléré  leur présence au milieu des rudes guerriers francs. Les femmes, occupées aux tâches ménagères, à la cuisine ou dans la basse-cour, étaient logées à même enseigne.
Près de la porte de la demeure principale, une forte femme, les mains sur les hanches, guettait leur approche l’air renfrogné. L’escapade des deux gamins avait duré trop longtemps à son goût et elle en avait éprouvé une sourde inquiétude. Par les temps troublés de cette année 866, de mauvaises rencontres étaient à craindre en chemins de campagne, même aux alentours du castel. Elle les accueillit sans ménagements et, leur haute lignée ne leur épargna pas force taloches sur la route du baquet d’eau qui attendait ces seigneuries en sueur.
L’épreuve du baquet les réconcilia de leurs fraternelles chamailleries et ils envièrent, de concert, les garnements du village, parfois frères de lait, qui avaient droit aux taloches mais pas au bain !
Ermengarde avait été leur nourrice puis leur gouvernante et, malgré le nombre de coups et de frictions qu’elle leur avait donnés, ils aimaient la matrone et surtout, ses galettes de sarrasin.
Une servante fut promptement envoyée dans les appartements seigneuriaux pour avertir la comtesse Adélaïde que ses fils étaient rentrés. Ce n’était là que mission de pure forme. La comtesse, une alsacienne de la lignée des Etichonides ayant, depuis belle lurette, délégué ses devoirs maternels à Ermengarde.
Cent ans plus tôt, la ruée des Alamans avait été brisée par la violente résistance de cette famille franque, rempart des mérovingiens puis des carolingiens aux marches de l’est. Il leur en restait un caractère ombrageux et farouche ainsi que de nombreux domaines en bordure du Rhin.
Etrillés et habillés de propre, Eudes et Robert gagnèrent la cuisine où Bereswinde, la cuisinière,  leur permit de grappiller quelques miettes du repas du soir. Il y régnait une atmosphère tendue en raison de la présence au château de Ramnulf, comte de Poitiers et d’une centaine de ses guerriers. Ces gens là ne se satisferaient pas de quelques galettes et des oies grasses rôtissaient sur la braise ainsi que des jambons et épaules de porcs.
La soirée serait joyeuse, arrosée de cervoise et d’hypocras. Même si les poitevins entendaient mal les accents gutturaux de leurs alliés germains, l’alcool délierait les langues et les servantes auraient de plus en plus de mal à échapper aux bras robustes des convives.
Bougonne, Bereswinde chassa les enfants de sa cuisine et revint au chaudron dans lequel elle avait jeté des choux. Elle goûtait peu ces ambiances débraillées au cours desquelles la soldatesque s’intéressait plus aux poitrines de ses aides, ou aux fesses de ses marmitons, qu’aux rôts et aux volailles.
Demain, la troupe disparate quitterait le château et tout rentrerait dans l’ordre. Elle ne se doutait pas à quel point l'ordre des choses serait bouleversé dans cette partie de la Neustrie, proche des limites orientale de la turbulente Bretagne et des eaux de la Loire, infestées de Normands. 

L'alerte

Adélaïde sut que le comte était entré dans la pièce, d'où elle contemplait parfois les basses collines d'Anjou, par les odeurs de sueur qui assaillirent ses délicates narines. Son époux, massif et de carrure imposante, la contemplait sans aménité depuis le seuil de ses appartements. Il se faisait rare auprès d'elle et encore plus rare dans sa couche depuis la naissance de Robert ,comme si les deux fils qu'elle lui avait donnés suffisaient amplement à combler ses soucis de descendance.
Par ailleurs, le surcôt que la dame avait passé au dessus de vêtements, à peine plus luxueux que ceux de ses servantes, n'avantageait guère sa corpulente silhouette.
Elle n'en avait cure et se satisfaisait de cette situation, les étreintes du compagnon de Charles le Chauve ressemblant plus à des investissements de remparts qu'à des joutes amoureuses. 
Son premier époux, Conrad 1er de Bourgogne, l'avait habituée à plus d'égards. Lorsqu'il était mort, il y a près de dix années, la famille d'Adélaïde avait jugé bon de rechercher une alliance avec la famille des comtes de Hesbaye et de Worms, qui, après avoir servi les rois mérovingiens était bien implantée dans les cours carolingiennes. L'un des ancêtres du comte d'Anjou n'était-il pas Chrodobert, référendaire de Dagobert 1er?
Pour l'heure, les pensées de la comtesse vagabondaient en pays souabe, sur les bords du fleuve majestueux et au cœur des profondes forêts germaniques de son enfance.
Robert fit trois pas vers son épouse.
- Mon amie, j'apprécierais que vous fassiez honneur à mes hôtes en revêtant pour le diner une de ces robes que je vous ai choisies dans les coffres d'Hasting!
Trois mois auparavant, Robert avait surpris huit drakkars embossés dans une courbe de la Loire. Désertés quelques heures par le gros de la bande,occupé à piller un monastère voisin, ils avaient été aisément investis, pillés puis incendiés par les Francs. Au milieu des calices en or et autres objets de culte entassés dans les cales, le comte avait découvert des vêtements de femmes dont les précédentes propriétaires se passeraient aisément. De là où les vikings les avaient envoyées, dument violées puis éventrées, elles ne viendraient pas réclamer leurs oripeaux.
La comtesse eut un haut le cœur mais fit signe qu'elle acceptait. Les désirs de Robert ne souffraient jamais le refus, qu'il vienne de sa femme ou d'une servante à trousser.
- Demain, je partirai à l'aurore avec le comte Ramnulf et tous  nos guerriers. Les Bretons ont passé la Sarthe et sont en route vers la ville du Mans. J'ai fait projet de donner une leçon à ces porcs! 
En 861, Robert avait fait soumission à Charles le Chauve en échange du marquisat de Neustrie. Cette charge impliquait bien des bénéfices mais lui donnait le devoir de défendre la Francie occidentale contre les nombreuses incursions des Bretons et, accessoirement, des Normands. Le roi des bretons, Salomon, n'avait guère de parole. Bien que le territoire situé entre les rivières Mayenne et Sarthe lui ait été octroyé, en 863,  en gage de paix, il avait repris la mauvaise habitude d'envoyer ses guerriers piller la rive gauche de la Sarthe. Il n'hésitait pas, pour cela, à s'allier avec les Normands, installés à demeure sur une ile de la Loire.
- A mon retour, soyez prête à rejoindre notre bonne ville de Tours, nous y prendrons quartier pour l'automne
Abbé laïque de l'abbaye de Marmoutiers, le comte avait coutume d'y passer quelques jours, en automne, pour en recevoir les bénéfices  Charles le Chauve lui avait octroyé les revenus de l'abbaye pour s'assurer ses services depuis que son fils, le prince Louis le Bègue, s'était avéré incapable de contenir les ravages des Normands.
Robert sortit de la pièce comme il y était entré. Son odeur subsista un instant puis Adélaïde put respirer un air moins chargé d'effluves désagréables...

Les bretons et les normands


A moins de cent lieues de la motte castrale de Robert, la horde sanguinaire des Bretons et des Normands, conduite par Hasting lui même, longeait la rive gauche de la Sarthe, semant la terreur sur son passage. Les paysans fuyaient à son approche et allaient se réfugier dans les forêts avoisinantes, avec leurs femmes, leurs enfants et leurs bêtes. 
De loin, ils observaient cette troupe hétéroclite et bruyante qui remontait la rivière en direction du Mans. Déjà, l'année précédente, une même cohorte était allée piller la capitale du Maine, brulant les églises et étripant les imprudents. 
Les barbares étaient à pied, certains à cheval. Les drakkars des Normands étaient restés en Loire.
Partis de la Batailleuse, une ile où ils s'étaient installées depuis quelques années, les Normands avaient rejoint un groupe de près de deux cents bretons qui les attendait en amont d'Angers. De là, ils avaient remonté la Sarthe jusqu'à un  village nommé Briserthe (Brissarthe).
Sur la rive droite de la rivière ils étaient en territoire breton depuis que Charles le Chauve, par le traité d'Entrammes, avait octroyé le pays d'entre deux eaux au roi Salomon. Cependant, les villages étaient déserts lors de leur passage car l'approche de la horde incitait à la prudence.
A Briserthe, (Littéralement: "Le passage sur la Sarthe") ils avaient traversé la rivière et désormais étaient en Francie occidentale, le royaume de Charles le Chauve. Il leur faudrait près d'une semaine pour rejoindre Le Mans et en revenir. 
La nouvelle de ce raid était parvenue à Robert en une journée grâce à ses guetteurs postés le long de la rivière. Il résolut de leur tendre un piège.
Hasting chevauchait en tête de ses farouches guerriers. Il aimait ces raids sanglants. Bien qu'il ne soit pas de la race des vikings, il avait fini par devenir leur chef en raison de sa bravoure et de son charisme. Dans chaque embouchure de fleuve, dans les iles, en Méditerranée et jusqu'en Italie, on avait subi ses attaques, ses pillages et ses meurtres. Les moines des abbayes proches des côtes avaient été obligés d'emmener les reliques des saints et les objets précieux à l'intérieur des terres, le plus loin possible de ces rivages visités par les drakkars, des bateaux dont le faible tirant d'eau permettait de remonter les fleuves.
En 845, les Normands avaient saccagé Amboise. Rien ne pouvait arrêter ces barbares. Rome n'avait du son salut que parce que Hasting avait pris Luna pour la capitale de l'Italie.
Les faubourgs du Mans apparurent au détour d'une voie romaine sur laquelle les roues cerclées de fer des chariots faisaient un bruit abominable. Une clameur féroce monta des rangs des barbares. Elle glaça le sang des habitants qui n'avaient pas encore fui. Ils se ruèrent vers la ville haute, dans un désordre indescriptible, piétinant les enfants et abandonnant leurs maigres baluchons. 
Le diable n'était rien en comparaison du démon qui approchait.


Le piège


Les deux enfants qui virent défiler la troupe guerrière en partance pour la bataille n'étaient pas princes mais, ils seraient rois. Personne n'aurait pu leur prédire cette destinée. Eudes refusera un jour de détruire un pont, à Paris, pour permettre à 700 drakkars d'aller piller la Bourgogne. Les Grands de Francie occidentale l'éliront roi, en 888, en lieu et place de Charles le Gros, un carolingien sans âme guerrière. Robert portera cette même couronne en 922 après que Charles le Simple, un autre carolingien, eut été déposé. Il mourra l'année suivante dans des circonstances mystérieuses. La légende colporte que ce fut lors d'un duel avec Charles le Simple.
Pour l'heure, le comte Robert, marquis de Neustrie, chevauchait à la tête de ses guerriers francs en compagnie de Ramnulf. Il avait décidé de gagner rapidement les rives de la Sarthe. Les paysans le regardaient passer et le saluaient bas.  Les francs composaient l'aristocratie dominante du royaume et nul ne songerait à s'opposer à leur hégémonie. Ils avaient remplacé depuis  quatre siècles les soldats romains, repartis en Italie sous la poussée des barbares venus du nord et de l'est. Si les wisigoths n'avaient fait que passer, les francs, eux, avaient occupé les villes et les seigneuries, placé des comtes et des ducs, occupé le terrain avant de  repousser les frontières.
Ils parlaient une langue gutturale que les paysans ne comprenaient pas. Le tudesque était rude et grossier.  En 842, le serment de Strasbourg fut encore écrit dans cette langue. Il aboutit au traité de Verdun qui scella le destin de l'empire de Louis le Pieux, partagé entre ses trois fils survivants. 
Robert, qui avait combattu aux côtés de Charles le Chauve fit partie des bagages que celui-ci emporta dans le fief occidental qui lui était attribué.
Robert revoyait les deux décennies écoulées depuis ce traité. Elles avaient été émaillées de batailles sanglantes, avec les bretons ou les normands. Il avait été longtemps en révolte contre son roi et même allié des bretons quand Charles favorisa trop son fils, Louis le Bègue, un prince chétif, sans panache et sans charisme.
Depuis 861, Robert était redevenu le loyal serviteur de Charles, bien décidé, aujourd'hui, à châtier les bretons qui ont outrepassé les frontières de la marche dont il a la charge.
Derrière lui, la troupe suait sang et eau sous les casques et les grossiers vêtements de cuir. Les peaux cousues qui servaient de chausses protégeaient mal des cailloux des mauvais chemins qu'ils empruntaient. Parfois, une voie romaine bien orientée offrait ses larges dalles à leur avance mais, pour rejoindre au plus vite Brissarthe, ils empruntaient le plus court chemin.
Car les deux comtes avaient fait le pari que le parti adverse repasserait par ce village, là où la Sarthe moins profonde proposait un gué. C'était le seul endroit où des chariots chargés de butin pouvaient traverser. Inutile d'épuiser la troupe à une vaine poursuite, les francs fondraient sur les barbares au moment même où ils penseraient retrouver la sécurité du royaume breton.
Au détour d'un dernier tronçon de voie romaine, les francs aperçurent le clocher d'une église. Pour l'époque, elle était immense et, fait encore plus rare, elle était en pierres. Ils traversèrent la rivière. Les paysans les  accueillirent sans animosité car, ils n'étaient devenus bretons que par la volonté de leur roi, en 863. Ils appréciaient peu leurs nouveaux maîtres. Frustes et avides, ces derniers leur laissaient une part dérisoire des récoltes.
Ils désignèrent à Robert ceux qui pourraient dénoncer sa présence. Ces derniers furent promptement occis. Brissarthe était entouré de hautes collines. Les francs s'installèrent sur ces promontoires naturels d'où ils pourraient surveiller l'autre rive. Puis, ils attendirent.
 La bataille
Robert le Fort, comme l'appelleront bien plus tard les historiens qui relateront cette histoire, avait disposé ses guerriers sur les flancs des collines jouxtant le village, dans des chemins creux et derrière les masures paysannes.
Une centaine des francs étaient restés sur la rive opposée, cachés avec les mêmes précautions. Il leur fut interdit de bivouaquer, de parler, de faire du feu.
De loin, Robert pouvait apercevoir une partie de la voie romaine . Perpendiculaire à la rive, elle s'enfonçait dans les terres entre deux haies d'aubépine. Les eaux étaient très basses, après un mois d'août frappé par une sévère sécheresse. La voie semblait continuer son chemin sous les eaux, comme si les romains, quatre siècles auparavant, avaient voulu paver la rivière elle même.

Les bretons et les normands avaient laissé Le Mans dans un état de chaos indescriptible. La cathédrale, ou tout au moins l'édifice en bois qui en tenait lieu à l'époque, était en feu. Des corps gisaient dans les ruelles basses et les ruisseaux charriaient du sang. 
Trainant de lourds chariots, attelés de bœufs, les barbares avaient repris la voie qui les avait amenés dans la capitale du Maine. Le butin était important. Des calices et des ostensoirs débordaient des coffres de l'évêque, mêlés à des
bijoux d'or et d'argent. L'une de ces charrettes emmenait des captives  enchainées. 
Ivres d'hydromel et de vin, les vikings regardaient d'un mauvais œil les bretons qui s'approchaient trop des richesses pillées. Le partage ne serait pas aisé entre ces deux partis, aussi différents dans leurs mœurs qu'ils étaient semblables dans la cruauté. 
La meute était talonnée par le comte du Maine, Gauzfrid, arrivé trop tard dans la ville mais bien décidé à en découdre. Près de quatre cents guerriers francs suivaient la trace, écumant de rage. Gauzfrid était un lointain cousin de Robert, de la branche cadette des robertiens, animé par le même orgueil et le même courage. 
Hasting pressait l'allure pensant mettre la Sarthe entre ses poursuivants et ses guerriers et organiser sa défense sur la rive droite, en pays breton.
Parvenu à deux lieues du "bria", le passage, il envoya des éclaireurs qui ne virent rien d'anormal. Une lieue correspondant, à cette époque, à la distance parcourue en une heure par un homme à pied, ils seraient à Brissarthe dans deux heures.
Robert et Ramnulf avaient entendu la horde des pillards bien avant de l'apercevoir. Ils revêtirent leur broigne, une grossière cuirasse faite d'anneaux de bronze, cousus sur du cuir, qui descendait jusqu'aux genoux et se portait sur une tunique légère.
En début de soirée, les premiers bœufs apparurent en fin de chemin. Poussant une clameur de joie, les bretons engagèrent les chariots dans le gué, piquant les bœufs de leurs épées. Le désordre était grand, chacun voulant mettre sa carcasse à l'abri des poursuivants. Alors que le dernier chariot était au milieu de la rivière, les guerriers de Gauzfrid apparurent sur la berge, rejoints aussitôt par ceux que Robert avait laissés en place. 
Hasting et ses guerriers achevèrent la traversée puis, firent face aux arrivants. Sortis de la rivière ils pensaient être en position de force. Lorsqu'ils entendirent les vociférations de la troupe que Robert avait massée dans le village, ils comprirent que le sort basculait dans le camp des carolingiens. Ils étaient pris entre deux groupes plus nombreux.
Les francs débouchèrent dans leur dos en poussant des hurlements de damnés et entrèrent dans la masse des bretons et des normands. Robert, dont la stature impressionnante dominait la scène  de la bataille, exhortait ses soldats de la voix et du geste, taillant dans la masse à grands coups d'épée. Les barbares refluèrent, abandonnant leur butin et leurs captives.
Il existait, à Brissarthe, une ancienne et vaste villa romaine, dominée en son centre par une grande église de pierre. On appelait "villas", à cette époque, des domaines agricoles, de plusieurs acres, comprenant des maisons d'habitations, des dépendances agricoles et des terrains cultivés. 
Robert comprit trop tard son erreur tactique lorsqu'il vit les survivants des pillards s'engouffrer dans la grande bâtisse et s'y enfermerr. Hasting était lui même entré dans l'église et, rapidement, ses hommes s'étaient barricadés et placés aux hautes et étroites fenêtres de l'édifice.
La soirée était bien avancée mais encore très chaude en ce mois de septembre caniculaire. Les trois comtes, rejoints bientôt par Hervé, un autre seigneur du Mans, se concertèrent. L'église était cernée mais, le combat serait rude pour investir cette véritable forteresse. L'approche en était dangereuse car de hautes et étroites fenêtres avaient été prévues, tout autour de la nef, pour défendre l'église.
Ils décidèrent de reporter l'assaut final au lendemain, de laisser leurs troupes se reposer. La décision fut accueillie avec soulagement par les soldats.
Une sorte de bivouac s'organisa sous les murs de l'église. Certains restèrent vigilants, debout près de leurs armes, d'autres se laissèrent tomber sur le sol, terrassés par la fatigue du combat.
Robert, lui même, ôta sa broigne et regarda, songeur, les hauts murs qui protégeaient désormais Hasting de sa vengeance. Le misérable ne perdait rien pour attendre. Demain, il l'égorgerait de sa propre main!
Hasting, réfugié derrière une des meurtrières de la nef, observait les carolingiens. Ainsi disséminés en petits groupes dont certains semblaient démobilisés, ils offraient des chemins de fuite inespérés. Il rassembla les plus vaillants de ses hommes près du porche principal et, silencieusement, fit ôter les étais qui empêchaient son ouverture.
Soudain, une clameur énorme jaillit de cent gorges lorsque les bretons et normands jaillirent dans le camp. Le diable s'invitant sur la scène n'eut pas eu d'effet plus désastreux. L'effet de surprise joua. Les barbares allaient dénouer l'étau de leurs ennemis lorsque Robert bondit, entrainant de la voix ses hommes, dont certains étaient aussi vulnérables que lui, revêtu de sa simple tunique de drap. Ils étaient sur le point de vaincre lorsque Robert, frappé d'un coup de lance en travers de la poitrine s'écroula. Les bandits le trainèrent dans les murs et refermèrent le porche.
Ramnulf était resté à l'écart, médusé. Il ressentit une vive douleur dans la poitrine et, baissant la tête, constata qu'une flèche y était fichée. Tirée par une des meurtrières de l'église, elle le coucha sur le sol, blessé mortellement.
En cette époque où la discipline ne faisait pas encore la force des armées, il fut impossible de retenir les survivants du parti franc. La panique gagna leurs rangs et ils passèrent en désordre sur la rive opposée.
La victoire avait changé de camp.
Les vikings accompagnèrent cette retraite jusqu'à la rive et en frappant en cadence du plat de leurs épées sur leurs boucliers ronds, ils firent connaitre à toute la contrée que Robert, comte d'Anjou, venait de croiser sa destinée!
Le corps du marquis disparut. Nul ne put lui rendre hommage. De nos jours, on le cherche encore. 
La nouvelle du désastre mit plusieurs jours à gagner la cour de Charles le Chauve. Il venait de perdre son meilleur rempart contre les bretons et les normands. L'année suivante il octroya à Salomon les terres du Cotentin, achetant ainsi une paix relative. 

Epilogue:
Eudes et Robert furent confiés à leur oncle, Hugues l'Abbé. Ils furent rois, en 888 et en 922. Ce fut le puiné, Eudes, qui accéda le premier à cet honneur. Son frère ainé, Robert, fut d'abord un fidèle vassal de Charles le Simple avant de le combattre puis de lui succéder.
Le fille de Robert, Emma, épousa Raoul, fils du duc de Bourgogne. Raoul sera roi en 923.
Le fils de Robert, Hugues le Grand, préféra faire revenir d'Angleterre un descendant des carolingiens qui fut roi sous le nom de Louis d'Outremer.
Le fils d'Hugues le Grand, Hugues Capet fut élu roi en 987.
La dynastie des capétiens régna jusqu'à ce qu'une guillotine mette fin à leur règne.

Mais c'est là une autre histoire.
Eudes couronné roi en 888

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