samedi 22 mars 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Le transport vers le front



En route vers le front



5 et 6 août 1914

Le transport par voie ferrée.



Pendant deux jours, les soldats se sont présentés à l’entrée de la caserne. Peu à peu, les bataillons ont pris forme, les chambres de la caserne se sont remplies de paysans, d’ouvriers, de domestiques, d’artisans ou d’instituteurs. Ils se sont jaugés, reconnus parfois, regroupés par affinité.
Une mécanique, assez bien huilée, s’est mise en place dès le 1er août. En fait, le plan XVII de l’Etat-major français est essentiellement une description des modes de constitution des régiments puis des modalités d’acheminement de ces régiments vers les frontières de la Lorraine et de l’Alsace.

Il est presque amusant de constater que les Allemands vont appliquer le plan Schieffen, qui consiste à envahir la Belgique puis à bifurquer sur Paris, pendant que les Français vont courir vers l’est. Tournez manège!

En attendant, et pour faire simple, 2 800 000 hommes rejoignent en deux jours les 800 000 hommes de l’armée d’active.

On puise, au sein des régiments d’active, l’encadrement nécessaire à la constitution d’un régiment frère, dit de réserve. Ainsi, le 135ème  Régiment d’Infanterie génère le 235ème R.I.

Les 3 et 4 août, les rappelés sont équipés par les sous-officiers d’active. Les tenues qu’ils perçoivent ne sont pas neuves, loin s’en faut. Certaines sont sales, au minimum poussiéreuses. Leur première tâche est de redonner un peu de lustre à ces équipements. Chacun perçoit également son Lebel 1886, de calibre 8mm. Avec sa Rosalie, une longue baïonnette, l’arme fait 1,89m. Elle sera bien encombrante dans les futures tranchées. Il n’y a guère de temps pour des exercices d’instruction.

Le 5 août, après une dernière revue d’effectifs dans la cour d’honneur, le régiment se met en branle. Un 1er bataillon, commandé par le Chef de Bataillon Chirigneau de Lavalette, parcourt les rues d’Angers. Le colonel est en tête, avec son Etat-major. On gagne la gare Saint-Laud où on embarque à 7H34.

Les angevins sont agglutinés sur le parcours de ces hommes, presque joyeux de partir se battre. Quelques parents, des fiancées, se sont postées ici et là. Une étreinte furtive, un baiser mouillé sur la joue, la femme pleure, le soldat fait le brave. Le flot est rouge et bleu. Ce n’est pas encore du sang.

Le 2ème bataillon arrive à 9H54. Le commandant Delétoille marche en tête. A 11H54, embarque le 3ème bataillon du commandant Noblet.

Puis un grand silence se fait. Les civils regagnent leurs foyers. Il y a comme un grand vide, une angoisse diffuse pointe son nez. Quand reviendront-ils ?

Dans leur wagon de 3ème classe, Jean-Baptiste, Pierre et François observent un moment les champs qui défilent. Le train contournera Tours, traversera Orléans, Chaumont. Pour ces paysans, la Meurthe-et-Moselle est une destination bien mystérieuse. On leur a dit qu’ils roulaient vers Nancy, sans plus de précisions. Des gens qui n’ont jamais dépassé Segré ou Château-Gontier, ne peuvent que s’étonner des changements de paysage. Pour l’heure c’est une épreuve pour les fesses. Trente heures de banquettes en bois, serrés comme des sardines, dans des wagons surchauffés. Parfois, le train s’arrête, pour ravitailler la locomotive et son tender. Parfois, il faut laisser passer un autre train, d’autres sueurs. Aller aux toilettes est toute une expédition. On pisse par la porte. Si le train fait une pause en rase campagne, on se rue vers les bosquets. Des coups de sifflets ramènent tout le monde au chaud. Les débrouillards dégottent un peu d’eau dans les gares. Les autres tirent la langue. Une lourde fatigue remplace l’excitation du départ. Les muscles sont douloureux. La musette est vide. L’odeur devient prégnante.


Le 6 août, à 13H44, le premier train arrive dans la gare de Maron. Un improbable orage d’été l’accueille qui fait penser un instant à une canonnade. Une heure s’écoule encore avant que groggys, hébétés, les hommes descendent sur le quai. Ils pensaient à une des nombreuses haltes qui ont émaillé leur voyage, ils reçoivent la consigne de prendre tout leur barda et leurs armes, ils sont arrivés. La gare est ordinaire, bâtie sur le modèle commun à toutes les petites villes desservies par le rail. Nancy est à 10 km.

On s’ébroue puis l’ordre de marche arrive. Les cantonnements sont à Sexey-aux-Forges. Cinq kilomètres, pour des fantassins de la grande guerre, c’est une promenade, même avec une trentaine de kg sur le dos.

Les trois brissarthois découvrent en bout de chemin les baraquements en bois qui leur serviront de chambrées. Le génie a érigé, en quelques jours, ces gites de fortune. Ils s’en contentent et les regretteront quand ils pataugeront dans les tranchées. Combien de poilus rêveront en silence à ces cantonnements de l’arrière quand, enfoncés dans la boue jusqu’aux genoux ils attendront sans trop d’espoir la corvée de soupe? La roulante fume au coin d’un bâtiment annexe. Un bol de soupe, un quignon de pain, un quart de rouge plus tard, ils s’effondrent sur les lits de camp et ronflent. Les officiers laissent faire, trop contents de prendre également un peu de repos.

Le colonel part chercher ses ordres auprès du général Justinien Lefèvre commandant le 18ème Division d’Infanterie.

Les deux autres bataillons arrivent à 16H00 et 18H30. Le dernier va cantonner à Neuves-Maisons, 10 km plus à l’est.



Le Petit Journal titre, en première page :

« Aberration » : Comment a-t-on pu machiner cette régression vers les pires époques de barbarie ? 

« Les fausses nouvelles… » : … pour assurer la suite de leur mobilisation, qui serait difficile, les Allemands racontent que Paris serait en révolution …

« Contre l’accaparement » : Tout commerçant vendant des denrées au dessus du cours du cours normal, ou accaparant ces denrées, sera traduit devant le Conseil de Guerre.












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