jeudi 27 mars 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Un fantassin, ça marche!



Un fantassin ça marche



7 au 10 août 1914

De cantonnement en cantonnement.



Le cantonnement de Sexey n’était que la première étape des pérégrinations à venir. La robustesse des godillots de l’Intendance va être mise à l’épreuve.

Cela commença le 7 août.

La veille, les soldats ont préparé leur paquetage complet. Tout doit rentrer dans le havresac, avec les godillots de rechange. On range soigneusement dans la petite musette, à fixer sur le ceinturon, les vivres d’une journée et quelques affaires personnelles, tabac, pipe, papier à lettre. Cent quatre vingt munitions ont été perçues et rangées dans quatre cartouchières.

Jean Baptiste soupèse le tout et adresse à ses compagnons une grimace inquiète. Ils savent qu’ils quittent définitivement ce cantonnement mais leur destination est restée secrète.

Réveil à 3H00 du matin pour ceux qui ont trouvé le sommeil. Les rangs se forment devant les baraques. Les hommes ont des allures de hannetons maladroits, engoncés dans leur grande capote, harnachés, lourds et grognons.

Départ.

Rien de plus lugubre, en plein milieu de la nuit, que ces colonnes de soldats,  piétinant en rang par trois, les chemins creux et les routes.

Pont-St-Vincent, Messein, Cléville, Ville-en-Vernois entendent la cohorte marteler les rues. Des volets claquent, des silhouettes se penchent. Le général de Castelnau équilibre ses forces au sud de Nancy. Pour le 135ème Régiment d’Infanterie, cela signifie 10 heures de marche, dans la fraicheur de la nuit puis au soleil du mois d’août. Le havresac est incroyablement lourd, le fusil pèse à l’épaule.

La capote bât les mollets.

Chaque homme porte un morceau de la tente collective, une pelle, une hache ou une bèche.

Dans la fraicheur de la nuit, l’équipement était presque supportable. Sous le soleil de midi, c’est un supplice. Lors des rares haltes, on tombe sur le talus ou dans le champ mais, les cartouchières scient le dos, le corps est moite, le fusil encombrant.

Ce n’est pourtant qu’une simple marche, sur du chemin de terre ou de la route. Lorsqu’ils monteront à l’assaut, au débouché d’une tranchée, dans la boue, les trous d’obus, à travers les barbelés, ils seront pareillement équipés. C’est incroyable mais vrai. Courir, tomber, se relever, tirer, dans un pareil accoutrement !

En Allemagne et en Lorraine, d’autres colonnes sont en marche, mieux équipées, plus légères, moins voyantes. Les Allemands se mettent en position. Ils ont des grenades à la ceinture. Leur baïonnette est plus courte, plus maniable, utilisable comme un grand poignard. Le casque à pointe est plus efficace contre les balles et les coups. Une veste bien plus légère que la grande capote des français les habille. Le fusil, un Mauser Gewehr 88, surclasse le Lebel par sa rapidité de mise en œuvre, sa résistance à la boue.

On installe des nids de mitrailleuses, une arme que les français ne maîtrisent pas encore. Puis on attend, patiemment, que les français viennent courir dans ce vaste champ de tir. Encore sept jours avant le grand massacre.

En attendant, les pantalons rouges arrivent à Saint-Nicolas-du-Port à 16H00.

La perception des chambres semble interminable à cette troupe épuisée. Du coin de l’œil, on observe, avec une certaine jalousie,  deux groupes d’artilleurs du 33ème R.A., frais et dispos après un voyage en camion. Des éclaireurs montés bichonnent leurs chevaux.

Deux litres d’eau sont alloués par les fourriers pour enlever toute cette sueur. Les tenues sont pendues au dessus des lits. Certains sombrent dans une sorte de léthargie comateuse.

François Vivien secoue ses camarades à l’heure de la soupe. Les cuistots s’agitent autour de la roulante. Dans la queue des bidasses une rumeur circule :

-         On remet ça demain !

-         Tu plaisantes !

-         Il parait que nous montons demain au cantonnement d’alerte. Ici, c’est l’arrière. Rebelote mon camarade !

-         Nom de D… de nom de D… y vont nous tuer les vaches !

-         Le départ est à 5H00. Ne déballe pas ton sac mon gars !

Le lendemain 8 août, en effet, le régiment est en ordre de marche à 5H00, près des faisceaux de fusils. Les tenues sont à peine sèches. Les muscles sont douloureux, les ampoules à vif.

Quatre heures à faire le pied de grue, à guetter les allées et venues des sous-officiers. Certains dorment debout, appuyés sur un muret ou contre un arbre.

A 9H00, le contre ordre arrive, pas de départ, dislocation. Pas trop d’explications non plus. C’est comme ça.

Rares sont ceux qui apprécient alors l’idée du colonel. Une heure et demi d’exercices de combat, bataillon par bataillon. Cela les amène à l’heure des cuistots, puis à l’heure du coucher, puis au lendemain.

Le 9 août l’histoire varie, prêt à 5h00, le régiment, cette fois là, prend le départ. Heureusement, la marche ne dure que quatre heures. En milieu de matinée les fantassins arrivent à Fléville (1er et 3ème bataillon), Ville-en-Vermois  (2ème bataillon). Les plus chanceux ont fait 5 km, les autres 10 km. Une promenade. Ils sont au sud de Nancy, sur des positions de défense de la ville.

On s’installe, tant bien que mal, dans deux corps de ferme, les écuries, les étables, les greniers à foin. Chacun s’y aménage un petit coin de paradis où, entre deux tours de garde, on se laisse tomber.

Le 10 août est une journée comme on en rêve chez les fantassins. Aucune activité majeure. On soigne les bobos. On fait la queue devant la pompe à main pour se laver à grande eau. Certains trouvent des œufs. Quelques poulets disparaissent mystérieusement.

C’est un intervalle de bonheur. Le dernier de ce mois d’août. Ils ne le savent pas encore.

L’offensive des français, en Lorraine, n’a pas encore commencé. Il reste cinq jours.



Le Petit Journal titre, en première page :

« L’Autriche contre la France » : On annonce que l’Autriche, venant au secours de l’Allemagne, envoie des troupes sur notre frontière. 
« Les atrocités allemandes » : Chaque jour qui passe accumule les actes monstrueux commis par les Allemands et leurs crimes contre la civilisation.
« Le retour à Paris de M de Freycinet » : M de Freycinet, qui prenait les eaux … près de la frontière Suisse-Allemande, a été obligé de rentrer à Paris en passant par Genève…
 

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