vendredi 6 juin 2014
dimanche 11 mai 2014
dimanche 20 avril 2014
Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Prosnes
Les combats de
Prosnes
14 septembre au 22 octobre 1914
Prosnes
La journée du 14 septembre marque
la fin de la progression rapide du régiment. Les Allemands semblent décidés à
stopper nos fantassins dans la région de Prosnes.
Parti, à 5H00 du carrefour de la
route de Sept-Saulx à Prosnes et de la chaussée romaine située au sud du
village, le 3ème bataillon traverse l’agglomération sans rencontrer de
résistance mais, parvenu à la chaussée romaine nord, est soumis à un violent
bombardement et à des tirs de mitrailleuses. Le 4ème bataillon étend
sa ligne de feu vers l’est mais est soumis, lui aussi, à un violent
bombardement.
Les deux bataillons doivent se
replier. Le commandant Delétoille, qui commande provisoirement le régiment, est
blessé au cours de ce recul. Arrivés aux premières maisons du village, quelques
hommes sont regroupés par le colonel Eon, commandant la 36ème
brigade, accompagné de deux capitaines, De la Taille et Friant. Il organise la
défense des abords de Prosnes à partir du grenier d’une des maisons.
Tous font le coup de feu contre
l’ennemi.
Cela vaudra aux sergent Clergeau,
Lesimple et Beauvais d’être cités.
Le soir, Prosnes reste entre nos
mains.
Les jours suivants, et ce
jusqu’au 21 septembre, le village subit des bombardements le régiment creuse
des tranchées tout autour de Prosnes. A l’est, on trouve le 77ème
R.I., à l’ouest le 68ème R.I.
Peu à peu les lignes de
défense se renforcent. Il existe, à l’est et à l’ouest du village des ravins
qu’on équipe. Un des bataillons relève le 68ème R.I. Un millier de
réservistes arrivent.
Les deux états major, celui de la
brigade et celui du régiment s’installent, ensemble, dans une maison.
Le médecin-major Azaïs soigne les
blessés dans une cave située en arrière.
Un nouveau chef de corps arrive
le 22 septembre, c’est le Lieutenant-colonel Maury. Il trouve son régiment
installé dans ses lignes de défense, en lisière et de part et d’autre du
village. Les premières lignes sont sur la chaussée romaine du nord. Les 77ème
et le 90ème R.I. sont à gauche et à droite.
L’ennemi est à portée de canon.
On aperçoit ses tranchées sur la côte 144. Il pilonne nos positions, de temps
en temps.
Le journée du 26 septembre est
marquée par une attaque ennemie sur nos
positions les plus avancées et notamment sur des tranchées creusées en avant de la voie romaine. Le pilonnage est très violent. A dater de ce jour et jusqu’au 28 septembre, l’enjeu des attaques et contre attaques, de nuit comme de jour, parfois en profitant du brouillard, va être cette chaussée romaine. Les combats sont très violents, précédés de bombardements intenses. Les hommes connaissent ces terribles attaques à la baïonnette, l’affreux contact avec un homme qu’on embroche ou qui tente de vous embrocher.
positions les plus avancées et notamment sur des tranchées creusées en avant de la voie romaine. Le pilonnage est très violent. A dater de ce jour et jusqu’au 28 septembre, l’enjeu des attaques et contre attaques, de nuit comme de jour, parfois en profitant du brouillard, va être cette chaussée romaine. Les combats sont très violents, précédés de bombardements intenses. Les hommes connaissent ces terribles attaques à la baïonnette, l’affreux contact avec un homme qu’on embroche ou qui tente de vous embrocher.
Un des copains de castor et
Pollux, Louis Daraize, habitant Daumeray, est tué sur cette chaussée romaine le
28 septembre. Il venait d’avoir 32 ans.
Les français tiendront,
reprendront les parcelles de voie perdues, reprendront le moulin situé à l’est
du village, pris et repris, perdu, réinvesti.
Après le 28 septembre, ils
vivront une longue période de combats d’artillerie. On hésite parfois à
utiliser les canons sachant que l’ennemi répliquera aussitôt. On peste parfois
contre l’artilleur qui réveille les bouches à feu adverses.
Le Journal des Marches et
Opérations du régiment devient presque monotone :
Même situation. Quelques coups de
canon seulement.
Même situation. Violente
canonnade.
Même situation. Quelques coups de
canon seulement.
…
Prosnes est désormais un des
points de ce front qui va de la Suisse à la Mer du Nord. Il n’est pas encore
vraiment figé mais s’enterre progressivement.
Le 3 octobre enfin, le régiment
est relevé par le 68ème R.I. Il part cantonner à Sept-Saulx.
Mais le 6 octobre, il remonte en
ligne au nord de Thuisy. Ce secteur n’est guère plus calme que celui de
Prosnes. Il est bombardé régulièrement. Et la litanie des canonnades reprend.
Enfin, le 20 octobre, le régiment
s’éloigne définitivement de ce front de Champagne et cantonne en arrière
jusqu’à ce que, le 22 octobre, il renoue avec les voyages en train.
C’est à Mourmelon-le-Petit qu’il
embarque, en plusieurs échelons, vers un autre enfer. Il part vers le nord
ouest. En d’autres époques, ce pourrait être une destination de villégiature,
les Flandres belges, la mer, les plages de sable.
Dans la réalité, il va vers une
ville qui deviendra célèbre pour ses gaz. Il part vers Ypres.
Car, pendant qu’il buttait sur la
ligne ultime de retraite des Allemands, issue de la bataille de la Marne, d’autres
armées, d’autres divisions, d’autres soldats entreprenaient ce que les
historiens appelleront « La course à la mer ».
Français et Allemands, du 14 au
27 septembre, ont tenté de se déborder par le nord.
Peu à peu, une nouvelle ligne de
front, axée du sud au nord, s’est cristallisée de secteur en secteur, enterrée,
fortifiée. Elle passe à l’est d’Arras qui faillit bien tomber au début d’octobre.
Par l’ouest, elle contourne Vimy et Lens où des milliers de soldats ont laissé
leur vie sur une célèbre colline, sous les yeux de Notre Dame de Lorette. Elle
arrive à la frontière belge, à Ypres, une ville ravagée par l’artillerie
allemande.
Là, cette ligne de front bifurque
vers le nord-ouest et rejoint Nieuport. L’armée belge, vaincue à Anvers, a pu
rejoindre les Anglais et les unités Ronarc’h puis se retourner contre l’ennemi
qui n’a pu atteindre Calais.
La région de l’Yser où notre
régiment se rend, le 23 octobre, n’est plus qu’un vaste charnier. Les écluses n’ont
pas encore été ouvertes par les Belges mais, ce sera chose faite le 28 octobre.
On peut imaginer que les trains
qui emportent le 135ème Régiment d’Infanterie ont du faire un long
détour par le sud du front avant de gagner le Nord.
Court répit pour nos trois amis. Jean-Baptiste
roule vers un destin tragique. Castor et Pollux se sortiront des fossés remplis
d’eau de Zonnebecke mais ce ne sera que partie remise.
Dans un compartiment voisin, René Marquis, Armand Jarry,
Auguste Nail et Gabriel Suzanne , des daumeréens, jouent à la belote. Avant la fin
de l’année, ils auront péri dans la boue de l’Yser.
Tous pensent avoir connu le pire,
ils se trompent.
Le Petit Journal titre, en
première page
« Traversée de l’Yser» :
Si on s’est un peu ému de cette traversée de l’Yser, ce n’est pas que cette
petite rivière constitue stratégiquement une ligne d’une particulière
importance.
« Le général Von der Goltz rappelé » : On
donne comme raison officielle de ce rappel la mauvaise santé du gouverneur
allemand de Bruxelles qui aurait été aggravée par le surmenage.
« Les oiseux ennemis n’ont pu
s’approcher de Paris » : Trois avions allemands ont encore rodé hier
soir dans le région de Senlis.
mardi 15 avril 2014
Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Carte des mouvements du 1er août au 14 septembre 1914
Carte des mouvements et des engagements du 135ème Régiment d'Infanterie en août 1914 et au début du mois de septembre 1914.
Pour atteindre les articles correspondants, cliquez sur les liens suivants:
1) La caserne
2) La mobilisation
3) Le transport vers Nancy.
4) Marches au sud de Nancy.
5) Travaux dans le secteur de Grand Couronné
6) En route pour Bièvre (Belgique)
7) Le baptême du feu
8) Une éprouvante retraite
9) Les combats de Faux
10) Prélude à la bataille de la Marne
11) Bataille de la Marne
12) Les combats de Prosnes.
Pour atteindre les articles correspondants, cliquez sur les liens suivants:
1) La caserne
2) La mobilisation
3) Le transport vers Nancy.
4) Marches au sud de Nancy.
5) Travaux dans le secteur de Grand Couronné
6) En route pour Bièvre (Belgique)
7) Le baptême du feu
8) Une éprouvante retraite
9) Les combats de Faux
10) Prélude à la bataille de la Marne
11) Bataille de la Marne
12) Les combats de Prosnes.
dimanche 13 avril 2014
Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. La bataille de la Marne
La bataille de la
Marne
6 au 14 septembre 1914
Au cœur de la bataille
En ce 6 septembre 1914, le
contexte est encore celui d’une guerre de mouvements et si, sur le grand
échiquier de la guerre, la reine des batailles est l’infanterie, un régiment
n’est qu’un pion que les généraux peuvent sacrifier sans hésitation. Les
Etats-majors apprennent sur le tas. Les instructeurs sont allemands. Ils enseignent
que l’artillerie est toute puissante pour broyer les pions et que les
mitrailleuses sont très utiles pour parachever le travail.
L’expression « marche ou
crève » n’a pas encore été inventée, c’est plutôt « rampe ou
meurt ».
Joffre estime que la première
phase de regroupement de ses forces est accomplie. Il a repéré les points de
faiblesse de l’avancée allemande et notamment ce flanc droit offert à une
attaque de la VIème armée de Maunoury. Les célèbres taxis sont déjà rassemblés
aux Invalides et transporteront une division entière dans ce secteur.
Il est bien évident que nos trois
compagnons ne savent rien de tout cela. Tout ce qu’ils savent c’est que les
marais de St-Gond sont dans leur dos et que l’ennemi est devant eux. La
situation n’est pas vraiment confortable.
En face, ce ne sont pas des
enfants de cœur. Ce sont des prussiens de la 1ère Division de la
Garde, une troupe aguerrie.
Le 135ème Régiment
d’Infanterie couvre un front allant de Toulon-la-Montagne à Morains-le-Petit. A
5H00, ces prussiens attaquent. Ils arrivent de l’ouest du dispositif, plus
exactement de Congy et profitent du lit du ruisseau de Cubersault pour
contourner le 2ème bataillon. Le régiment est contraint de se
replier. Cela veut dire qu’il doit emprunter une des chaussées qui traversent
le marais du nord vers le sud. Il arrive à Bannes à 11h00.
L’ordre est donné de
reprendre Toulon-la-Montagne avec le 77ème Régiment d’Infanterie. Il
ne pourra pas être exécuté. Une pluie d’obus s’abat sur les deux unités,
rassemblées au sud de Bannes. Elles n’ont pas d’autre solution que de se
replier plus au sud sur les pentes du mont Août.
Douze officiers et 654 hommes
sont portés manquants. Parmi les officiers, on compte le lieutenant Pierre
André de Bazelaire, mort de ses blessures.
Parmi nos camarades du village de
Daumeray, le soldat Victor Berthe est tombé à Vert-la-Gravelle. Il est le
premier tué de ce village, il ne sera pas le dernier.
La journée du 7
septembre va se passer en ordres et
contre ordres. Le soir venu la brigade sera toujours adossée aux pentes du mont
Août.
Ils sont à la veille d’une
victoire décisive mais ne le savent pas. Les deux régiments frères, le 77ème
R.I. et le 135ème R.I. sont au plein centre de l’offensive décidée
par Joffre.
« Une troupe qui ne peut
plus avancer, devra, coûte sue coûte, garder le terrain conquis et se faire
tuer sur place plutôt que de reculer » Joffre 5 septembre 1914.
Les combats les maintiendront
dans ce secteur des marais de St-Gond jusqu’au 11 septembre. Le régiment subira
encore des pertes, notamment le 9 septembre, jour où le chef de corps, le
Lieutenant-colonel GRAUX est blessé et fait prisonnier avec son adjoint, le
capitaine Pons. Le colonel parviendra à
s’évader mais le capitaine était mort de ses blessures. Le même jour, le
commandant Noblet est tué ainsi que de nombreux officiers. Le régiment devra
reculer jusqu’à Linthes. Pour bien se rendre compte de l’étendue des pertes, il
faut savoir que l’officier qui commande le régiment, en cette soirée du 9
septembre, est le capitaine Sanceret, 3éme bataillon, 12ème
compagnie.
Comment ces fantassins harassés
pourraient-ils imaginer que dans quelques jours, ils auront parcouru le chemin
inverse de cette longue retraite et repoussé les Allemands jusqu’au delà de la
Vesle ? La chaleur est accablante mais, ils n’ont plus une goutte d’eau et
n’ont pas mangé depuis deux jours.
Un sentiment de solitude, l’impression
que toutes les forces ennemies sont rassemblées devant vous et que, manque de
chance, il vous incombe de sauver le monde pendant que les autres régiments
vont à la soupe.
Leur chef est le général Foch, un
inconnu. Son armée se heurte à celle de Bülow. Un peu plus à gauche, Kluck s’est tourné vers Maunoury créant ainsi une
sorte de brèche entre Château-Thierry et Monmirail. Franchey-d’Esperay s’y
porte aves les forces anglaises.
Le 9 septembre, journée
éprouvante pour le régiment, Bülow recule enfin et Kluck décide de rompre le
combat.
Une sorte de boulevard s’ouvre
devant les divisions françaises. Le scénario est totalement inversé. L’artillerie
précède les régiments, pilonne les forces ennemies puis les fantassins s’avancent.
Oh, c’est plus facile à écrire qu’à réaliser et des hommes tombent de part et d’autre
mais, Joffre a gagné. Il a réussi à enrayer cette ruée vers Paris qui avait
fait fuir le gouvernement.
« Le 11 septembre, Joffre
télégraphie au gouvernement « victoire incontestable ». Cette
victoire ne pourra pas être exploitée comme il conviendrait. Joffre n’a plus
aucune réserve. Les troupes sont épuisées. Les Allemands se retranchent sur une
ligne Noyon-Soissons-Craonne quasi inexpugnable. Il faudra quatre années pour les en
déloger.
Le 135ème régiment d’Infanterie
a accompagné ce grand mouvement du 9 au 13 septembre. Il est repassé sur ses
traces à Voipreux, Rouffy, Champigneul, Jalons. Il a franchi la Marne le 12
septembre, à Condé, sur des nacelles et un pont de bateaux. Le commandant
Delétoille, rentré de convalescence, est leur chef de corps.
Le soir le trouve dans un village
appelé « Les grandes Loges ».
Le 13 septembre, il s’avance en
brigade, précédé par le 77ème R.I. Ce dernier livre bataille à
Livry contre un parti de fantassins allemands et un groupe d’artillerie. La marche
reprend à midi vers Mourmelon-le-Petit. Au passage on fait quelques prisonniers,
des trainards et des pillards.
Devant eux, Prosnes est encore
occupé par l’ennemi. Il a entrepris de renforcer ses défenses en creusant des
tranchées.
C’est là que nous allons laisser
quelques instants notre régiment. Nous sommes à l’extrême nord de l’avancée des
divisions de Foch. Le front va s’installer dans ces parages pour très longtemps.
Prosnes va être pris puis âprement défendu. Ce village laissera son nom dans l’histoire
de la grande guerre.
Le Petit Journal titre, en première
page
« Après la victoire de la
Marne» : Le mouvement de retrait des Allemands continue
« L’état major allemand
avoue sa défaite sur la Marne» : L’état major allemand s’est résolu à
télégraphier un bulletin reconnaissant les succès de l’aile gauche des alliés.
« Le paquebot français Lutetia a échappé aux croiseurs
allemands » : Ce fut une poursuite acharnée. Le paquebot français
gagna de vitesse et arriva sans accident à Saint-Vincent.
vendredi 11 avril 2014
Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Prélude à la bataille de la Marne
Prélude à la bataille
de la Marne
31 août au 5 septembre 1914
Joffre regroupe ses forces
Le début du mois de septembre
1914 est caniculaire. Ce sera pour tous les fantassins français, impliqués dans
une longue retraite, une suite de marches pénibles ponctuées de combats
retardateurs. Il faut noter que les fantassins allemands parcourent les mêmes
distances. Leur état d’esprit est sans doute meilleur, ils pensent marcher à la
victoire mais, le soleil est le même pour tout le monde.
Les actions des 77ème
et 135ème Régiments d’Infanterie se conforment à une stratégie
générale. A Bièvre, c’était d’abord une offensive qui s’est soldée par une retraite.
De Bièvre à Faux, puis de Faux jusqu’à la Marne et ensuite vers les marais de
St-Gond, ce fut et ce sera encore une retraite ponctuée de combats
retardateurs.
L’épuisement est le mode de
description qui convient le mieux à l’état général de la troupe. Les routes ont
encombrées de convois de cuirassiers, d’artilleurs, de sapeurs qui tous se
dirigent vers le sud, parfois à marche accélérée, parfois de manière très
ralentie.
Entre le 31 août et le 6
septembre, le 135ème Régiment d’Infanterie va parcourir 150 km. Entre ses pertes et
la récupération de compagnies isolées, l’arrivée de réservistes depuis
différents dépôts, il finira par dépasser 4000 fantassins, plus ou moins
aguerris. Ils sont toujours aussi lourdement chargés. Les pieds sont meurtris,
les muscles très douloureux. Chaque halte est un bienfait mais il faut ensuite
remettre en route leurs carcasses. Ils sont sales. Parfois une partie de
l’équipement a disparu lors d’une charge ou d’une course sous les obus. Les anciens,
ceux de la mobilisation, se comptent avec inquiétude. Les nouveaux sont moins
jeunes. Ils ne pensaient pas être affectés en première ligne. Ils y sont.
Le gouvernement et les français
savent désormais que la glorieuse bataille des frontières a été perdue par
Joffre. Ils savent que les prochaines semaines vont être très critiques. Les Parisiens
ont fui la capitale, bombardée par des avions légers. Les dégâts sont infimes
mais l’effet est désastreux. Le gouvernement part pour Bordeaux.
Les principales armées allemandes
qui s’avançaient d’est en ouest, au cœur de la Belgique ont brusquement viré à
gauche. Elles avancent, inexorablement vers l’Aisne, qu’elles franchissent,
puis la Marne et l’est de Paris.
Joffre attend son heure. Il
regroupe ses divisions et envoie des avions observer la progression de
l’ennemi.
Castor, Pollux et Jean-Baptiste
n’ont aucune idée de la stratégie du généralissime. Ils marchent.
« Le mouvement sera couvert
par arrière-gardes laissées sur les coupures favorables du terrain, de façon à
utiliser tous les obstacles pour arrêter par des contre-attaques, courtes et
violentes, dont l’élément principal sera l’artillerie, la marche de l’ennemi ou
tout au moins la retarder » Joffre 25 août 1914, 22H.
Ils marchent, ils s’arrêtent, ils
contre-attaquent, ils repartent.
Ils ont chaud, ils ont
peur, ils ont faim, ils ont soif. Ils marchent.
A 5H00, le 31 août, ils ont
quitté Seuil. Désormais les villages vont se succéder, jour après jour. La
Neuville, Bignicourt, Juniville. L’ambiance du soir est plutôt au bivouac dans
les bois. La soupe est aléatoire. Les cuistots se débrouillent.
Le 1er septembre, dès
6h00, 2 officiers et 98 hommes tombent sous les balles de l’ennemi. Réveil
brutal et repli. On entre sous le couvert des bois mais, de 18H à 19H, un
pilonnage intense cause de lourdes pertes aux éléments d’artillerie du
régiment, trop visibles dans une éclaircie des bois.
C’est une nouvelle fuite en
avant.
Les bataillons cantonnent, le
soir, à St-Masme, Selles et Epoye.
Au cours de la journée,
l’adjudant Gauthier réussit à ramener au régiment un groupe de 300 hommes,
rassemblés après les combats de la veille. Il est immédiatement nommé
sous-lieutenant.
Le 2 septembre est une journée de
marche. A midi, ils sont à Sillery. Fait rare, ils peuvent se reposer 6 heures
puis prendre en compte des cantonnements. Ils sont sur le qui vive, prêts à
courir aux faisceaux. Cette fin de
journée est l’occasion d’une restructuration complète en 4 bataillons,
rééquilibrés en hommes et en cadres.
Le 3 septembre, le régiment
marche en tête de la 18ème division. On traverse, dans un incroyable
encombrement de troupes, les villages de Beaumont-sur-Vesle, Verzy,
Villers-marmery, Trépail, Ambonnay. Le 4ème bataillon marche jusqu’à
Condé-sur-Marne où il garde le Train Divisionnaire.
Plus de 1900 réservistes arrivent
alors des dépôts encadrés par quelques officiers de réserve. L’effectif n’a
jamais été à ce niveau. Plus de 5000 hommes sont sous le drapeau du 135ème
R.I.
Quelques officiers sont promus
dont le sous-lieutenant de Bazelaire qui passe lieutenant. Il ne serait pas
loyal d’oublier le lieutenant Holl qui passe capitaine, l’adjudant-chef Merle,
l’adjudant Verrin, le maréchal-des-logis Favre qui sont nommés
sous-lieutenants.
Le 4 septembre, toujours en tête
de la 18ème D.I., le régiment passe la Marne et continue vers le
sud. Il traverse Jalons, Champigneul, Rouffy, Villeneuve, Voipreux. Malgré une
chaleur implacable, la crainte d’une attaque impose de marcher 5 heures sans
une seule pause. Dire que les hommes sont épuisés est un euphémisme.
Les cantonnements s’organisent à
Renneville et Villeneuve.
Près de 600 réservistes sont
alors renvoyés vers les dépôts, les moins exercés. L’écusson du 135ème
R.I. est accordé à tous les fantassins qui restent au corps.
Nous sommes le 5 septembre.
Demain la bataille de la Marne va commencer. Demain est un autre jour.
Personne, dans le régiment ne peut envisager une victoire et pourtant, ces
troupes épuisées vont recevoir l’ordre de ne plus reculer et, si possible, de
reprendre l’offensive. C’est impossible, inimaginable et vrai.
Pour l’heure, ils vont vers le
sud. Ils pensent, un moment, s’arrêter à Clamange. La route d’Ecury-le-Repos à
Pierre-Morains les sépare de la Division Marocaine.
Repos, vous avez dit repos. Ce n’est pas encore le moment.
La progression se fait à partir
de 17H00, vers Morains, Aulnizeux, Toulon-la-Montagne, plein ouest. On se
tourne vers le nord. Derrière nos soldats existe une vaste zone de marécages,
les marais de Saint-Gond, un peu comme s’ils avaient le dos au mur.
Les marais et le mont Août qui
les domine au sud vont devenir célèbres dans les annales militaires. Des
compagnies vont s’y engloutir pendant quelques jours avant que les Allemands ne
commencent à reculer.
La première action débute en fin
de cette journée du 5 septembre. Une batterie allemande stationne sans
protection rapprochée dans le parc du château de la Gravelle. --------------->
Le
Commandant NOBLET donne l’ordre à la 12ème compagnie
d’attaquer à la baïonnette.
Elle déboule sur les servants des canons, tue les chevaux
pendant que le reste du 3ème bataillon contourne le château. Toute
résistance cesse mais il n’est pas prudent de rester dans cette situation avancée.
Le bataillon rejoint Vert-la Gravelle. Les Allemands réussiront à retirer leurs
pièces d’artillerie avant le retour des français.
Le régiment occupe
Vert-la-Gravelle, Toulon-la-Montagne et Aulnizieux.
Le Petit Journal titre, en
première page :
« Armées du nord-est» :
Dans la région de VERDUN, les forces allemandes ont subi certains échecs.
« Encore un paquebot
allemand capturé» : Le Kronprinz Wilhelm était un superbe paquebot
transatlantique … Il ne sera plus à craindre pour personne.
« Un incident relatif au Cardinal MERCIER de Malines » :
Mis en demeure de démentir ses précédentes déclarations contre les barbaries
allemandes, par l’ambassadeur d’Autriche à Rome, le cardinal Mercier s’y est
refusé. …
mardi 8 avril 2014
Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Les combats de Faux
Les combats de Faux
30 août 1914
Le régiment fait face à l’ennemi
Sur un front de 300 km, ce ne sont pas moins
de 7 armées allemandes qui ont repoussé les forces françaises et anglaises. A
l’est, le général De Castelnau a réussi à arrêter leur progression mais, de
Verdun à Cambrai, nous reculons. Certes, c’est une retraite assez bien ordonnée
mais il faudra, un jour ou l’autre, enrayer ce mouvement. Le plan Schlieffen ne
semble plus vraiment à l’ordre du jour. Les Allemands qui avaient projeté de
contourner Paris par l’ouest ont changé d’avis. Leurs forces ont obliqué vers
l’est de la capitale.
Le 30 août, l’Aisne est sur la
route de l’ennemi et offre une possibilité défensive.
Le 135ème régiment
d’Infanterie est un pion au milieu de ce vaste dispositif. Ses effectifs
viennent d’être remis à niveau avec l’apport du 3ème bataillon du 32ème
R.I. et 500 réservistes. Ses 3000 fantassins vont donc être, de nouveau, lancés
dans le tourmente.
Sur un front de 8 km, de part et d’autre de
Faux, 10 km
au nord-est de Rethel, ils vont devoir faire face à l’ennemi.
De 4 h à 7 h du matin, on consolide
fébrilement les défenses organisées la veille.
A 7h, les 2ème et 4ème
bataillons sont violemment attaqués par les Allemands. Notre artillerie ouvre
le feu.
A 10H, ces deux bataillons
doivent refluer vers le sud-est, sous un violent pilonnage de l’artillerie
adverse. Les 1er et 3ème bataillons se retrouvent en 1ère
ligne et subissent de lourdes pertes sous le feu des canons ennemis.
On réussit cependant à dégager le
77ème R.I. qui, lui aussi, recule.
Les combats sont intenses. La
1ère ligne du 3ème bataillon cède, à 13H30, sous la pression de
forces supérieures. Il en est de même pour le 1er bataillon.
Une contre attaque héroïque menée
par les hommes encore valides, conduits, drapeau en tête, par le
Lieutenant-colonel Graux, échoue. Les fantassins allemands ne se montrent même
pas. L’artillerie écrase nos soldats.
La retraite est ordonnée. Ce
qu’il reste du régiment est rassemblé à l’abri du remblai de la voie ferrée.
Ces hommes, épuisés, atteignent
Amagne puis Seuil, une dizaine de km au sud de la ligne des combats.
Le brave lieutenant Gaston
SULFOURT, qui, avec sa section de mitrailleuses avait échappé par miracle aux
obus allemands, à Bièvres, est tué à Faux. Nous n’avons plus de mitrailleurs.
Les fantassins qui arrivent à
regagner Seuil n’ont plus d’équipements dignes de ce nom. Les havresacs ont été
abandonnés, sur ordre du général, avant la contre attaque menée par 1er
bataillon.
Comme à Bièvre, les pertes sont
considérables. Onze officiers et 1100 hommes sont hors de combats, tués,
blessés, disparus.
C’est, de nouveau, un régiment
décimé qui cantonne à Seuil. De nouveau, les hommes se comptent, se cherchent,
retrouvent l’ami ou le pleurent. Puis, ils s’effondrent tout habillés là où ils
peuvent, dans leur sueur. Le mois d’août est presque fini. Là bas, en Anjou,
les femmes rentrent la paille et regardent vers l’est. Elles ne savent pas…
Le Petit Journal titre, en
première page :
« La situation
militaire» : En Lorraine, la progression de nos forces s’est accentuée.
Nous sommes maîtres de la ligne de la Mortagne et notre droite avance.
« La mort du pape Pie X» :
Les cardinaux porteront la cape violette
« L’effort de l’Allemagne s’épuisera fatalement » :
le général Joffre est l’homme de la situation, avec le calme et la prudence
nécessaires, pour supporter tout le poids et l’effort colossal de l’Allemagne,
effort impossible à prolonger et qui s’épuisera fatalement devant la tactique
française…
dimanche 6 avril 2014
Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Une éprouvante retraite.
Une éprouvante
retraite
24 au 29 août 1914
Dans le flot de l’armée
française.
Quand nos trois amis sont arrivés
à Sugny, leur épuisement était tel que l’apparition de Joffre lui-même n’aurait
pu les empêcher de sombrer dans une sorte de coma. Les officiers avaient du
renoncer à établir le bilan exact des pertes tant cette troupe s’était
massifiées dans une douloureuse torpeur. Un cauchemar collectif hantait pourtant
ces jeunes hommes, ils geignaient et s’agitaient parfois en des fuites
immobiles, se dressaient, hagards, guettaient la nuit puis retombaient en
travers de leurs sacs pour ceux qui l’avaient encore.
24 août. Les sergents secouèrent cet amas de corps à 4H30 du matin.
Et réussirent à les mettre debout. Ils ne protestaient pas, se levaient et
ramassaient leur fusil.
A 5H00, ils étaient en route. On
demandait à cette troupe clairsemée de protéger la progression de l’Artillerie
du corps vers Saint-Laurent. Après avoir passé la frontière et parcouru les 15 km qui les séparaient de
cette ville, ils n’avaient toujours pas pris contact avec les fameux
artilleurs. On les laissa souffler une heure avant de les diriger sur Mezières.
Le 77ème Régiment d’Infanterie, deuxième élément de leur brigade s’y
trouvait déjà.
Mais, l’ordre est rapporté. Ils
traversent Montcy-Saint-Pierre et Montcy-Notre-Dame et finissent par atterrir à
Charleville.
Une journée presque facile, si on
la juge à l’aune du précédent massacre, récompensée par une soupe chaude à
19H00. Certains n’ont rien avalé depuis 24 heures.
25 août. Les sergents secouèrent cet amas de corps… Disons le
tout-de-suite, cette scène du réveil se répétera pendant des jours et des
jours. Il faut croire que le fantassin en guerre n’a pas la même horloge
interne que le civil, du moins c’est ce que pensent les généraux.
Accompagnons Castor, Pollux et
Jean-Baptiste sur les routes des Ardennes. Elles sont encombrées de troupes en
déroute. Il n’y a pas d’autres mots. C’est une époque de marches harassantes,
sous un soleil de plomb.
Le Journal des Marches et
Opérations indique sobrement qu’ils sont : « extrêmement
fatigués ». c’est sans doute là un euphémisme militaire.
Les ardennais qui les ont vu
monter vers la Belgique, il y a quelques jours, les voient, sidérés, repasser
dans l’autre sens.
En ce jour, ils passent devant le
château de Grange-aux-Bois, sur les talons du 77ème R.I. et vont
cantonner à Bogny.
26 août. Cela fait trois jours qu’ils n’ont pas quitté leurs godillots,
ni leurs pantalons.
Départ à 5H00 pour Sormonne où
ils organisent une position défensive avec l’aide du Génie.
Les fantassins apprennent avec
soulagement qu’un bataillon isolé vient d’être adjoint à leur unité. C’était le
3ème bataillon du 32ème Régiment d’Infanterie, il devient
le 4ème bataillon. Ces hommes, arrivés le 20 août en Belgique,
avaient côtoyé le 135ème R.I. dans les phases du retrait. Ils
avaient participé, par exemple, à la garde des ponts de Alle.
Nous les retrouverons désormais
aux côtés de leurs camarades, notamment le 30 août, à Auboncourt. Ils y
prendront leur part de gloire.
Le 77ème R.I. occupe
bientôt les positions aménagées alors que le 135ème R.I. avance vers
Murtin. Il cantonne dans les environs vers 21H30.
27 août. Départ à 4H00. Ils rejoignent Thin-le-Moutier.
28 août. Les Allemands sont alors aux portes de
Charleville-Mezières qui se déclare ville ouverte. Le Lieutenant-Colonel Graux,
qui a remplacé le colonel de Bazelaire, évacué, est sans doute un des seuls à
savoir l’ennemi si proche. Le 77ème R.I. est sur le flanc gauche de
notre régiment, plus proche encore de l’ennemi. D’ailleurs, une canonnade se
fait entendre de son côté. Les Allemands sont à Warnécourt, à moins de 4 km.
Ce soir là, le cantonnement se
fait à Guignicourt.
29 août. La proximité des troupes ennemies est sans doute la raison
d’une nuit encore plus courte que d’habitude. Les bataillons partent à 2h00 en
direction de Rethel. C’est une marche forcée épuisante, par nuit noire. La
troupe est ordonnée mais sent que l’ennemi est à ses trousses. Des lueurs, au
nord, signalent des incendies.
Comment un régiment aussi éprouvé
pourra-t-il contrecarrer l’irrésistible poussée des Prussiens ? Pourtant,
il prend position au sud-est de Puisieux puis au nord de Sorcy, le long d’une
voie ferrée.
Les ordres arrivent. Il faut
tenir le secteur d’Auboncourt, Lucquy, Faux. Les bataillons organisent les
défenses et font face au nord, tournés vers la meute de leurs poursuivants.
Le renfort de 500 réservistes,
venus directement d’un dépôt, n’est pas fait pour les rassurer. Certes, le
régiment est de nouveau au complet
Une seconde tragédie est en train
de se mettre en place.
Pour beaucoup de ces soldats,
survivants de Bièvre ou réservistes fraichement arrivés, cette nuit sera la dernière.
Le Petit Journal titre, en
première page :
« Les inquiétudes de
l’Allemagne» : Si nous pénétrons en Belgique, disait M de Jagow à
l’ambassadeur anglais, c’est parce que nous ne pouvons pas faire autrement.
« Un communiqué anglais » :
Une force importante d’infanterie de marine a été débarquée à Ostende.
(Churchill)
« Leur fourberie » : Un officier allemand
s’était habillé en prêtre pour tendre un guet-apens à nos soldats.
samedi 5 avril 2014
Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Le baptême du feu.
Le baptême du feu
23 août 1914
Un massacre.
Pierre PERRAULT et François
VIVIEN sont adossés, avec leurs camarades du 1er bataillon, contre
le remblai nord de la route qui mène de Bièvre à Houdremont Depuis qu’un
instituteur de la Doutre a expliqué que Bièvre, cela voulait dire castor, il
les surnomme Castor et Pollux.
-
« Pourquoi Pollux ? » a dit François.
- « Trop long à expliquer » a
dit l’instituteur.
Le chef de bataillon de Lavalette
attend un ordre d’attaque qui ne viendra jamais.
Les balles commencent à siffler à
ce moment là ! Il est 7H00. C’est une fusillade nourrie. Elle provient des
bois situés au nord-ouest du village. La 9ème compagnie y est aux
prises avec les Allemands, débordée, décimée, elle se replie vers Bièvre. Elle
paie son tribu à la faucheuse.
De position d’attaque, la route
d’Houdremont passe au statut de position de défense. Il suffit de la traverser
et de s’en servir comme d’un rempart.
On s’y agrippe.
On peut voir nettement l’ennemi
prendre position sur la crête nord-ouest de Bièvre. Ils disposent, depuis cette
côte, d’une vue imprenable sur l’escarpement tenu par le 1er
bataillon. L’Etat-major du régiment est avec ce bataillon.
L’enfer se déchaine. L’Artillerie
allemande règle ses tirs sur des arbres qui bordent la route. Des sections
entières disparaissent sous les impacts. Certaines se débandent dans les près
alentour. Les officiers s’efforcent de remettre de l’ordre. Le commandant de
Lavalette est atteint à la jambe en cherchant à regrouper ses hommes.
Le pilonnage est méthodique. Rien
n’a préparé le régiment à un tel déluge de fer et de feu. On ne peut que subir,
chercher à disparaître dans le sol. Les Français font connaissance avec les
obus à balles, inconnus dans nos forces, avec les obus de calibre 105 qui
tombent en salves répétées.
Les artilleurs ennemis explorent
chaque pouce de terrain du bout de leurs canons, secteur par secteur. Rien
n’est épargné à nos fantassins.
Le village subit le même sort.
Les maisons sont en flamme. Les civils fuient vers le sud. A l’est, le 2ème bataillon est en
pleine retraite.
Castor et Pollux ne font plus
qu’un, ils ont sauté dans un entonnoir creusé à quelques mètres d’eux, dans la
pierraille du talus. Ils ne bougent plus, ne pensent plus, ne pleurent plus.
Ils attendent l’obus qui les ensevelira dans ce trou, ou un ordre de repli.
Bien que blessé, à 9H00, par un
éclat d’obus, le colonel de Bazelaire donne l’ordre de renforcer les quelques
sections qui continuent à tirer sur l’ennemi, à l’avant du dispositif.
Des mitrailleuses postées à
l’entrée ouest de Bièvre arrosent les positions ennemies avec succès. Une salve
d’obus, bien ajustée, les réduit au silence. Les deux lieutenants qui les
commandent, Sulfourt et Jannin, s’en sortent par miracle. Gaston
Sulfourt sera tué une semaine plus tard à Faux, dans les Ardennes.
Le colonel fait parvenir au 2ème
bataillon, un ordre de repli. Lui-même, avec le drapeau du régiment, gagne les
bois du sud.
Il est 10H45. Cela fait plus de 3
heures que nos forces subissent pilonnage sur pilonnage.
En bon ordre, échelon par
échelon, les bataillons commencent à gagner le sud. C’est sans compter avec les
observateurs allemands qui font allonger le tir au fur et à mesure de la
progression des premières troupes vers les bois.
C’est une hécatombe.
Le repli s’organise donc
différemment, les sections avancent en oblique vers l’endroit où la route de Bièvre
à Bellefontaine entre dans les bois. Castor et Pollux, qui maudissaient le
sous-lieutenant de Bazelaire, leur chef de section, de ne pas donner l’ordre de repli dès 10H45,
bénéficient de cette nouvelle tactique. Ils franchissent, haletants, l’orée de
la forêt, sains et saufs. Ils ne s’arrêtent pas pour autant sous les fraiches
frondaisons et obliquent vers le sud, pressés de fuir l’enfer. Bellefontaine
voit passer les débris de ce qui fut un beau régiment. Les blessés sont portés
sur des brancards de fortune. Les morts sont restés sur place, mélangés à la
terre.
Tous se rassemblent à Petit-Fays.
A Bièvre, les Allemands font
creuser une grande fosse dans laquelle ils jettent, pèle mêle, plus de 500 cadavres de fantassins. Ils ne
prennent même pas la peine de relever les identités de ces malheureux. On dit
que, pour bien remplir la fosse, ils fusillent quelques civils belges.
Bien plus tard, vers la fin de la
guerre, les Allemands feront rouvrir cette fosse pour y recueillir les
identités des soldats français, afin que ce manquement aux lois de la guerre ne
leur soit pas reproché.
Pour l’heure, la course vers le
sud continue. Les rescapés, hagards, marchent jusqu’à Vresse où ils
franchissent la Semois.
Ils s’arrêtent un instant à Laforêt, mais c’est un court
répit. Il faut enrayer l’avance ennemie en organisant la rive gauche de la Semois. A un km plus à
l’est, deux compagnies et une section de mitrailleurs prennent position sur le
pont de Alle.
Le reste du régiment parcourt
encore 5 km
vers le sud et les hommes peuvent enfin s’effondrer sur de vagues litières de
paille, à Sugny.
La frontière française n'est plus qu'à deux km.
Les hommes se comptent. Les amis
se cherchent. Les pays se retrouvent. Il manque un fantassin sur deux. C’est
inimaginable et pourtant vrai. Il manque 17 officiers et 1500 soldats, blessés,
tués ou disparus. Ils ont été placés sous un énorme marteau pilon. Certains
n’ont pas tiré un seul coup de fusil. Tous savent maintenant que la guerre sera
cruelle, effrayante et longue. Ils n’imaginent pas encore qu’elle va durer 4
ans.
La nuit, elle, sera très courte.
Le Petit Journal titre, en
première page :
« Sans foi ni loi» : La
France qui a la plus grande confiance dans la bravoure de ses armées et dans la
tactique de leurs chefs, attend avec une anxiété bien naturelle le résultat des
grandes batailles livrées sur toute sa frontière.…
« Encore des
atrocités » : A Aershot, les troupes prussiennes ont fusillé en bloc,
froidement et sans motifs, le bourgmestre et un groupe d’habitants qui
l’accompagnaient.
« L’officier incendiaire d’Affleville » :26
tués, 6 blessés, 6 chevaux tués, Allemands : 2 blessés. Certains
témoins reconnurent immédiatement
l’incendiaire.
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