lundi 14 mars 2011

Les livres d'histoire sont, au mieux, des romans, au pire des mensonges.

Je suis, depuis quelques semaines, dans ma période "histoire de France" et, plus particulièrement, dans celle de l'Anjou, à l'époque carolingienne. Or, j'ai parfois l'impression de participer à cette manipulation des esprits qui fut l'apanage des historiens modernes, depuis qu'ils font entrer l'histoire dans des habits commodes, calibrés, canalisés, du prêt à porter pour élèves, étudiants et amateurs du genre. Car, ne nous faisons pas d'illusions, tout ce qui a été écrit sur les événements qui ont émaillé les siècles précédant l'an 1000 est sujet à caution!
L'époque carolingienne est justement renommée pour la confusion des écrits qui s'y rapportent. Certains historien vont jusqu'à affirmer que les dernières années de l'époque mérovingienne sont mieux connus que celle des carolingiens.
Débrouiller l'écheveau des partages, des batailles entre frères, rois, comtes et autres marquis, qui tentaient d'imposer leur pouvoir sur d'éphémères héritages, ou conquêtes, est impossible. Quand un traité, une charte, l'octroi d'un honneur, attribuait à une personnalité une province, éloignée du centre de gravité de sa prime influence, il faut bien admette que, sur le terrain, le pouvoir réel du nouveau maître était plus que virtuel.
Or, les livres d'histoire que nous avons tous tenu entre nos mains, à l'école ou au collège, ceux que nous avons achetés, par la suite, font rarement état des incertitudes liées à cet exercice aléatoire qui consiste à relater l'histoire. Les historiens modernes ont pioché dans des annales, des récits, des traditions orales retranscrites, pour livrer un récit méthodique de cette période, une chronologie vulgarisée, des noms et des cartes, accessibles au commun des mortels.
Ce faisant, ils ont accumulé une somme de mensonges car, bien entendu, tout choix impliquait un renoncement à la vérité historique. Ces intellectuels avertis ont tellement bien éclairé cette période obscure que, par réverbération, nous en sommes éblouis. Cela nous rend aveugles et nous fait gober, sans critique, le roman qu'ils ont constitué en taillant à grands coups de ciseaux dans le fatras des récits originaux.
Cela me fait penser à cette histoire classique du monsieur qui cherche sa montre sous un réverbère alors qu'il l'a perdue dans une ruelle obscure, où là, au moins, il y a de la lumière!
Reconnaissons que la tâche n'a pas été rendue facile par ceux qui, au moment des faits, relataient les évènements qui se déroulaient autour d'eux. Qui pourrait le leur reprocher? Quand un moine, entre les murs épais de son abbaye, relatait une virée de normands, une bataille, une assemblée de rois, il le faisait en se basant sur les récits qu'on lui en faisait. Ce récit lui parvenait par des chemins hasardeux ou, si un des acteurs directs de la scène la lui relatait, les faits réels pouvaient être déformés par vanité, flagornerie, ou intérêt personnel. Même la chronologie réelle des évènements semble absente de ces textes, retrouvés parfois, comme ce fut le cas des annales de Saint-Bertin, (ci-dessous) longtemps après leur élaboration.
Rien ne vous empêche, cependant, de lire vous mêmes les écrits du temps. Il ne vous sera pas utile d'être de savants latinistes, de déchiffrer le vieux français ou l'anglais ancien car, depuis belle lurette, les traductions sont accessibles sur le web. mais, attendez vous à quelques surprises! C'est un véritable chaos! Les narrateurs sautent sans cesse du coq à l'âne, entachent leurs récits de commentaires religieux, mêlent une attaque de loups autour de l'abbaye, à une réunion de rois!
Si, plusieurs textes différents abordent le même sujet, aucune approche n'est similaire. Les dates, quand il y en a, sont différentes! Ne vous attendez donc pas à trouver dans cet exercice fastidieux, matière à critiquer le travail de vos prédécesseurs. Vous y trouverez, simplement, la conscience que l'histoire, telle qu'elle nous est livrée par les érudits, n'est pas une science exacte. Elle n'est que la somme de choix aléatoires, parfois étonnants, toujours hasardeux.
Mais, servez vous quand même des livres d'histoire en ce qu'ils constituent une sorte d'épine dorsale, une route commode pour entrer dans le maquis des textes anciens. Ils ont ce mérite. Vous, comme moi, perdrions notre temps et notre latin à vouloir déchiffrer, de nouveau, le Gesta Nortmannorum. 
Mon propos reste cohérent si je vous dis, simplement: "Ne prenez pas pour argent comptant tout ce qu'on vous raconte dans les livres et allez voir vous mêmes, de temps, dans les textes initiaux". C'est passionnant!

Petit exemple, en passant:

Dans les annales de Saint-Bertin, page 159, on peut lire:
Nortmanni commixti Britonibus, circiter quadringenti de Ligeri cum caballis egressi, Cinomannis civitatem adeunt. Qua depraedata, in regressu suo usque ad locum qui dicitur Brieserta veniunt, ubi Rotbertum et Ramnulfum, Gotfridum quoque et Heriveum comites, cum valida manu armatorum, si Deus cum eis esset, offendunt. Et conserto praelio, Robertus occiditur; Ramnulfus plagatus, cujus vulnere postea mortuus est, fugatur; et Heriveo vulnerato et aliis quibusdam occisis, caeteri ad sua quique discedunt. Et quoniam Ramnulfus et Rodbertus de praece dentium ses vindicta, qui contra suum ordinem alter abbatiam sancti Hilarii, alter abbatiam sancti Martini praesumpserat, castigari noluerunt, in se ultionem experiri meruerunt.

Traduction:
Environ quatre cent Normands, mêlés de Bretons, venus de la Loire avec des chevaux, arrivent à la cité du mans et, après l'avoir pillée, viennent en s'en retournant jusqu'à un lieu nommé Briserte, où les comtes Robert et Ramnulphe, Godefroi et Hérivée les attaquent; et que Dieu eut été avec eux!  Le combat commencé, Robert est tué, et Ramnulphe, frappé d'une blessure dont il mourut peu après, est mis en fuite; Hérivée est aussi blessé et d'autres tués; le reste s'en retourne chacun de son côté : et comme Ramnulphe et Robert n'avaient pas voulu châtier précédemment ceux qui, contre leurs ordres, avaient osé s'emparer, l'un de l'abbaye de Saint-Hilaire, l'autre de l'abbaye de Saint-Martin, il était juste que le châtiment en tombât sur eux.           Sans commentaire !!!



Dans  le gesta Nortmannorum, on trouve le même récit, mais en 869!
Anno 869 Nortmanni mare intrant et pars quœdam ex ipsis Italia rediit Nortmanni vero commiMi Brittonibus circiter cccc de Ligeri cum caballis egressi Ce nomanis civitatem adeunt Qua depredata in regressu suo usque ad locum qui dicitur Briesseta veniuntubi Robertum et Ragnulfum Godcfridum quoque et Henricum comites cum valida manu armatorum si Deus cum eis esset offendunt et conserto prœlio Robertus occiditur Ragnulfus vulneratus postca mortuus est deinde Henrico sauciato et aliis quibusdam occisis ceteri quique ad sua discedunt

Et lisez ce qu'un historien réputé tire de ces quelques lignes, dans '"Anjou et ses monuments "(1839), cela devient véritablement lyrique.
Jugez en:
Quatre cents Normands et Bretons réunis parurent aux environs de Brissarthe ils appartenaient aux bandes de la Loire qui après avoir écumé la mer d 'Italie étaient revenues sur nos rivages d où elles sortaient ensuite pour se jeter dans l Anjou et le Maine Les quatre cents Normands et Bretons qui se montrèrent près de Brissarthe étaient allés piller la cité du Mans et chargés de butin revenaient sur leurs pas lorsqu ils firent la rencontre de Robert le Fort Hasting était à leur tête . Voilà deux grandes figures en présence d' un intérêt vraiment dramatique Là c'est Hasting courant sur un cheval aux crins en désordre qui échauffe ses quatre cents brigands du feu de son audace tout s' anime à son geste à son regard les chevaux se redressent malgré la fatigue malgré leur maigreur à sa voix ils secouent avec fierté leurs sales crinières, couverts de sueur et, comme leurs maîtres, faits au brigandage, ils ont d' avance l' odeur du sang. Un seul coup dans les flancs, vous les verrez bondir sur le champ de bataille et fouler aux pieds en hennissant les cadavres étendus sur le sol.
Agiles comme des centaures nos écumeurs de mer, non moins habiles à dompter des cavales qu'à lutter avec l 'Océan, attendent impatients le suprême signal du farouche Hasting. Leurs yeux bleus, leur teint blanc, leur blonde chevelure, en dépit de leurs habitudes sauvages, leur impriment un grand air de noblesse, souvent de la douceur. Mais le chef a-t'il parlé, ce ne sont plus des hommes, ils crient, ils écument, ils baisent leurs armes avec amour, leurs yeux étincellent, la fureur grossit leur voix et leurs traits deviennent hideux de rage et de cruauté. Ici c 'est Robert le Fort, avec Ramnulf duc d'Aquitaine, avec les comtes Hérivée et Godefroi. Leurs cottes d'armes brillent aux feux du soleil couchant, leur chevelure et leur barbe se jouent sur les mailles étincelantes de leur armure, de riches boucliers ornés de cercles des lances trempées d'acier arment leurs bras l'air le plus martial annonce au loin leur audace et leur dignité Une suite armée de toutes pièces se distingue par l 'originalité du costume une sorte de bonnet phrygien rouge le manteau court avec agrafe à la romaine une chemise de mailles une saie violette sont les vêtements qui la parent . Tels étaient les deux partis quand ils se rencontrèrent.

Ouf! 
Vous voyez ce qu'on peut tirer, au XIX° siècle de quelques lignes écrites au IX° siècle!

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