En route vers le
front
5 et 6 août 1914
Le transport par voie ferrée.
Pendant deux jours, les soldats
se sont présentés à l’entrée de la caserne. Peu à peu, les bataillons ont pris
forme, les chambres de la caserne se sont remplies de paysans, d’ouvriers, de
domestiques, d’artisans ou d’instituteurs. Ils se sont jaugés, reconnus
parfois, regroupés par affinité.
Une mécanique, assez bien huilée, s’est mise en place dès le 1er août. En fait, le plan XVII de l’Etat-major français est essentiellement une description des modes de constitution des régiments puis des modalités d’acheminement de ces régiments vers les frontières de la Lorraine et de l’Alsace.
Une mécanique, assez bien huilée, s’est mise en place dès le 1er août. En fait, le plan XVII de l’Etat-major français est essentiellement une description des modes de constitution des régiments puis des modalités d’acheminement de ces régiments vers les frontières de la Lorraine et de l’Alsace.
Il est presque amusant de
constater que les Allemands vont appliquer le plan Schieffen, qui consiste à
envahir la Belgique puis à bifurquer sur Paris, pendant que les Français vont
courir vers l’est. Tournez manège!
En attendant, et pour faire
simple, 2 800 000 hommes rejoignent en deux jours les 800 000
hommes de l’armée d’active.
On puise, au sein des régiments
d’active, l’encadrement nécessaire à la constitution d’un régiment frère, dit
de réserve. Ainsi, le 135ème
Régiment d’Infanterie génère le 235ème R.I.
Les 3 et 4 août, les rappelés
sont équipés par les sous-officiers d’active. Les tenues qu’ils perçoivent ne
sont pas neuves, loin s’en faut. Certaines sont sales, au minimum
poussiéreuses. Leur première tâche est de redonner un peu de lustre à ces
équipements. Chacun perçoit également son Lebel 1886, de calibre 8mm. Avec
sa Rosalie, une longue baïonnette, l’arme fait 1,89m. Elle sera bien
encombrante dans les futures tranchées. Il n’y a guère de temps pour des
exercices d’instruction.
Le 5 août, après une dernière
revue d’effectifs dans la cour d’honneur, le régiment se met en branle. Un 1er
bataillon, commandé par le Chef de Bataillon Chirigneau de Lavalette, parcourt
les rues d’Angers. Le colonel est en tête, avec son Etat-major. On gagne la gare Saint-Laud où
on embarque à 7H34.
Les angevins sont agglutinés sur
le parcours de ces hommes, presque joyeux de partir se battre. Quelques
parents, des fiancées, se sont postées ici et là. Une étreinte furtive, un
baiser mouillé sur la joue, la femme pleure, le soldat fait le brave. Le flot
est rouge et bleu. Ce n’est pas encore du sang.
Le 2ème bataillon arrive
à 9H54. Le commandant Delétoille marche en tête. A 11H54, embarque le 3ème
bataillon du commandant Noblet.
Puis un grand silence se fait.
Les civils regagnent leurs foyers. Il y a comme un grand vide, une angoisse diffuse
pointe son nez. Quand reviendront-ils ?
Dans leur wagon de 3ème
classe, Jean-Baptiste, Pierre
et François observent un moment les champs qui défilent. Le
train contournera Tours, traversera Orléans, Chaumont. Pour ces paysans, la
Meurthe-et-Moselle est une destination bien mystérieuse. On leur a dit qu’ils
roulaient vers Nancy, sans plus de précisions. Des gens qui n’ont jamais
dépassé Segré ou Château-Gontier, ne peuvent que s’étonner des changements de
paysage. Pour l’heure c’est une épreuve pour les fesses. Trente heures de
banquettes en bois, serrés comme des sardines, dans des wagons surchauffés.
Parfois, le train s’arrête, pour ravitailler la locomotive et son tender.
Parfois, il faut laisser passer un autre train, d’autres sueurs. Aller aux toilettes
est toute une expédition. On pisse par la porte. Si le train fait une pause en rase
campagne, on se rue vers les bosquets. Des coups de sifflets ramènent tout le
monde au chaud. Les débrouillards dégottent un peu d’eau dans les gares. Les
autres tirent la langue.
Une lourde fatigue remplace l’excitation du départ. Les
muscles sont douloureux. La musette est vide. L’odeur devient prégnante.
Le 6 août, à 13H44, le premier
train arrive dans la gare de Maron. Un improbable orage d’été l’accueille qui fait
penser un instant à une canonnade. Une heure s’écoule encore avant que groggys,
hébétés, les hommes descendent sur le quai. Ils pensaient à une des nombreuses
haltes qui ont émaillé leur voyage, ils reçoivent la consigne de prendre tout
leur barda et leurs armes, ils sont arrivés. La gare est ordinaire, bâtie sur
le modèle commun à toutes les petites villes desservies par le rail. Nancy est
à 10 km.
On s’ébroue puis l’ordre de
marche arrive. Les cantonnements sont à Sexey-aux-Forges. Cinq kilomètres, pour
des fantassins de la grande guerre, c’est une promenade, même avec une
trentaine de kg sur le dos.
Les trois brissarthois découvrent
en bout de chemin les baraquements en bois qui leur serviront de chambrées. Le
génie a érigé, en quelques jours, ces gites de fortune. Ils s’en contentent et
les regretteront quand ils pataugeront dans les tranchées. Combien de poilus
rêveront en silence à ces cantonnements de l’arrière quand, enfoncés dans la
boue jusqu’aux genoux ils attendront sans trop d’espoir la corvée de soupe? La
roulante fume au coin d’un bâtiment annexe. Un bol de soupe, un quignon de
pain, un quart de rouge plus tard, ils s’effondrent sur les lits de camp et
ronflent. Les officiers laissent faire, trop contents de prendre également un
peu de repos.
Le colonel part chercher ses
ordres auprès du général Justinien Lefèvre commandant le 18ème
Division d’Infanterie.
Les deux autres bataillons
arrivent à 16H00 et 18H30. Le dernier va cantonner à Neuves-Maisons, 10 km plus à l’est.
Le Petit Journal titre, en
première page :
« Aberration » :
Comment a-t-on pu machiner cette régression vers les pires époques de
barbarie ?
« Les fausses
nouvelles… » : … pour assurer la suite de leur mobilisation, qui
serait difficile, les Allemands racontent que Paris serait en révolution …
« Contre l’accaparement » :
Tout commerçant vendant des denrées au dessus du cours du cours normal, ou
accaparant ces denrées, sera traduit devant le Conseil de Guerre.
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