vendredi 21 mars 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. La mobilisation en Anjou.



La Mobilisation



Dimanche 2 août 1914

Haut-Anjou



Dans la matinée du 2 août, dans les rues, les champs, les boutiques, les ateliers des villes et villages d’Anjou, les hommes et les femmes se figent soudain. On s’interpelle entre voisins, les moissonneurs rangent leurs faux et détellent les chevaux. Les enclumes se taisent. Les alouettes elles mêmes, au sommet de leur vol, semblent en lévitation. L’air résonne d’un lugubre et lancinant froissement d’airain.

On rejoint les parvis des églises, puis les mairies. Personne ne sait, mais tout le monde informe. Il fait chaud.

Le tocsin, avant d’envoyer les soldats dans les casernes, les assemble au café du village. On débouche les fillettes de vin rouge et les femmes sont envoyées à la messe. Après tout, c’est dimanche. Il en est ainsi de ces évènements qui précèdent les grandes hécatombes, ils enthousiasment les hommes et inquiètent les femmes. L’alcool aidant, le patriotisme s’exaspère, on aligne les cadavres sous les comptoirs, on se donne de grandes claques dans le dos. Les vieux, ceux qui ont déjà tâté du prussien en 1870, sont plus circonspects.

Certes, il faudra bien un jour reprendre l’Alsace et la Lorraine, mais cela aurait pu attendre la fin de la moisson. Nous n’étions pas à quelques mois près.



A Brissarthe, petit village du Haut Anjou où un certain Robert le Fort trouva la mort devant les Normands en 866, l’esprit n’est pas plus guerrier qu’ailleurs.



Ceux du 135ème Régiment d’Infanterie se sont regroupés à une table de la société de boule de fort. Jean Baptiste Delestre a vingt neuf ans, Pierre Perrault a trente trois ans, François Vivien en a trente deux. Pour les jeunots des classes 1913 et 1914, ce sont des vieux de la vieille, des anciens qui vont devoir endosser, de nouveau, l’uniforme des fantassins. Ils sont quatre ou cinq, accoudés au comptoir et qui se donnent des coups de coude en ricanant. Ces cinq là auront aussi leurs noms gravés sur le monument aux morts.



A Daumeray, de l’autre côté de la rivière, un bourg un peu plus gros, patrie de Rouget le Braconnier, les mêmes scènes se jouent. De ce village, onze hommes du 135ème Régiment d’Infanterie vont mourir au combat. Le parti pris est de les suivre et de les citer au moment où, par la baïonnette, le fusil, le canon ou les gaz, ils vont acquérir le droit de figurer sur le monument aux morts.



Pour l’heure, ils boivent du vin d’Anjou avant d’être abonnés à celui de l’Intendance, plus rude, plus râpeux, et parfois si absent des tranchées.



Tous ces hommes vont, demain, rejoindre à pied ou en carriole, la caserne Desjardins. Le colonel Georges de Bazelaire de Saulcy les y attend. Ils ne sont pas mal lotis. C’est un brave homme, soucieux du bien être de ses soldats. C’est aussi un brave tout court, qui les emmènera sans hésiter en enfer, dans vingt trois jours.



Le Petit Journal titre, en première page :

« Sous les armes » : A la mobilisation allemande le gouvernement français répond par la mobilisation française… 

« Appel à la Nation Française » : la mobilisation n’est pas la guerre. Dans les circonstances présentes, elle apparaît, au contraire, comme le meilleur moyen d’assurer la paix dans l’honneur.

« Bicyclette solide » : Un seul homme montait une bicyclette Armor dans le tour de France de 1914, le coureur Devroye. Après 5400 km de parcours, il a ramené sa machine en parfait état, tous les poinçons intacts. »

à suivre...

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