La Mobilisation
Dimanche 2 août 1914
Haut-Anjou
Dans la matinée du 2 août, dans
les rues, les champs, les boutiques, les ateliers des villes et villages d’Anjou,
les hommes et les femmes se figent soudain. On s’interpelle entre voisins, les
moissonneurs rangent leurs faux et détellent les chevaux. Les enclumes se
taisent. Les alouettes elles mêmes, au sommet de leur vol, semblent en
lévitation. L’air résonne d’un lugubre et lancinant froissement d’airain.
On rejoint les parvis des
églises, puis les mairies. Personne ne sait, mais tout le monde informe. Il fait
chaud.
Le tocsin, avant d’envoyer les
soldats dans les casernes, les assemble au café du village. On débouche les
fillettes de vin rouge et les femmes sont envoyées à la messe. Après tout,
c’est dimanche. Il en est ainsi de ces évènements qui précèdent les grandes
hécatombes, ils enthousiasment les hommes et inquiètent les femmes. L’alcool
aidant, le patriotisme s’exaspère, on aligne les cadavres sous les comptoirs,
on se donne de grandes claques dans le dos. Les vieux, ceux qui ont déjà tâté
du prussien en 1870, sont plus circonspects.
Certes, il faudra bien un jour
reprendre l’Alsace et la Lorraine, mais cela aurait pu attendre la fin de la moisson. Nous
n’étions pas à quelques mois près.
A Brissarthe, petit village du
Haut Anjou où un certain Robert le Fort trouva la mort devant les Normands en
866, l’esprit n’est pas plus guerrier qu’ailleurs.
Ceux du 135ème
Régiment d’Infanterie se sont regroupés à une table de la société de boule de
fort. Jean Baptiste Delestre a vingt neuf ans, Pierre Perrault a trente trois
ans, François Vivien en a trente deux. Pour les jeunots des classes 1913 et
1914, ce sont des vieux de la vieille, des anciens qui vont devoir endosser, de
nouveau, l’uniforme des fantassins. Ils sont quatre ou cinq, accoudés au
comptoir et qui se donnent des coups de coude en ricanant. Ces cinq là auront
aussi leurs noms gravés sur le monument aux morts.
A Daumeray, de l’autre côté de la
rivière, un bourg un peu plus gros, patrie de Rouget le Braconnier, les mêmes
scènes se jouent. De ce village, onze hommes du 135ème Régiment
d’Infanterie vont mourir au combat. Le parti pris est de les suivre et de les
citer au moment où, par la baïonnette, le fusil, le canon ou les gaz, ils vont
acquérir le droit de figurer sur le monument aux morts.
Pour l’heure, ils boivent du vin
d’Anjou avant d’être abonnés à celui de l’Intendance, plus rude, plus râpeux,
et parfois si absent des tranchées.
Tous ces hommes vont, demain,
rejoindre à pied ou en carriole, la caserne Desjardins.
Le colonel Georges de Bazelaire de Saulcy les y attend. Ils
ne sont pas mal lotis. C’est un brave homme, soucieux du bien être de ses
soldats. C’est aussi un brave tout court, qui les emmènera sans hésiter en
enfer, dans vingt trois jours.
Le Petit Journal titre, en
première page :
« Sous les
armes » : A la mobilisation allemande le gouvernement français répond
par la mobilisation française…
« Appel à la Nation Française » :
la mobilisation n’est pas la
guerre. Dans les circonstances présentes, elle apparaît, au
contraire, comme le meilleur moyen d’assurer la paix dans l’honneur.
« Bicyclette
solide » : Un seul homme montait une bicyclette Armor dans le tour de
France de 1914, le coureur Devroye. Après 5400 km de parcours, il a
ramené sa machine en parfait état, tous les poinçons intacts. »
à suivre...
à suivre...
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