vendredi 23 décembre 2016

Massacre d'un bataillon allemand en septembre 1914 entre La Godine et le Gué Barré, commune de Les-Essarts-lès-Sézanne

Parmi les drames de la Grande Guerre de 1914/1918, j'ai relevé un affrontement oublié, entre les Français et les Allemands, du côté des Essarts-lés-Sézanne. Il montre à quel point cette guerre ne laissa aucune place à la pitié, que ce soit d'un côté ou de l'autre des belligérants.

Nous sommes le 7 septembre 1914, au début de cette bataille de la Marne qui vit les Français et les Anglais retourner une situation désespérée pour la transformer en victoire. 

Poursuivis par les Allemands depuis le 23 août, les alliés franco-anglais ont fait des centaines de kilomètres avant de profiter d'une erreur stratégique de leurs adversaires pour faire demi-tour et repousser les ennemis qui menaçaient Paris.

A 95 km au plein est de Paris, le 74ème Régiment d'Infanterie (1er Régiment Hanovrien),de la 38ème Brigade  Allemande reçoit mission de former l'arrière-garde du repli de cette brigade vers les hauteurs du Petit Morin. Ses trois bataillons doivent se regrouper à Jouy, petit village au nord de la forêt du Gault.

Malheureusement, un des trois bataillons ne reçoit pas ces ordres et reste en position dans des tranchées creusées à la hâte de part et d'autre d'une ferme: le Gué Barré. Dépassé par les forces françaises, il se trouve bientôt coupé de son régiment, encerclé de tous côtés, sans aucune possibilité de dégagement.

Qui plus est, les tranchées sont dans l'alignement des mitrailleuses françaises placées sur le toit d'une des deux fermes. Il existe également un mamelon qui domine les tranchées, à une centaine de mètres au sud de la ferme. C'est une véritable boucherie, un tir aux cibles vivantes. Les artilleurs participent à la curée avec des canons de 75 qui hachent menu les trois compagnies allemandes entassées dans ces tranchées peu profondes.

Les assiégés agitent un drapeau blanc lorsque toutes leurs munitions sont épuisées mais la fusillade dure encore près d'une heure. Enfin, un officier français s'approche des rares survivants et accepte leur reddition.

Jacques Isorni, dans son excellente "Histoire véridique de la Grande Guerre" rend compte d'un dialogue entre cet officier et l'un des survivants:

- Voilà plus d'une heure que nous agitons le drapeau blanc; votre conduite est inhumaine!
- Nous avons des raisons de craindre une ruse de guerre.
- Nous sommes des pères de famille. J'ai six enfants.
- Moi aussi, vous n'aviez qu'à rester chez vous.....

Il y a un tel enchevêtrement de corps dans la tranchée qu'il faut renoncer à en extraire les soldats morts. Un médecin ordonne qu'on les laisse sur place. La tranchée devient leur tombeau.

J'ai retrouvé sur Google Earth l'endroit exact où ce drame s'est produit. Je ne sais pas si les habitants actuels des deux fermes savent que quelques centaines d'hommes furent ensevelis sous leur terre. (A moins qu'ils n'aient été transférés dans une nécropole depuis...)
.


Dans le journal de marche du 136° Régiment d'Infanterie, affecté dans ce secteur au moment des faits on peut lire ceci:

"Pendant toute la matinée (du 7 septembre) une canonnade et une fusillade assez vives sont dirigées vers Le Clos le Roi. Vers 12 heures, on aperçoit des Allemands sans armes qui sortent d'une tranchée et se rendent. Le régiment reçoit l'ordre d'aller prendre possession de la tranchée ennemie précitée. Cette occupation se fait sans coup férir. La tranchée était remplie de morts et de blessés. C'est une section de mitrailleuses d'un régiment voisin qui prenant cette tranchée en enfilade et notre artillerie, qui formait barrage à l'arrière de la tranchée, qui ont amené ce résultat. Relevé dans sa mission de tenir cette tranchée le Régiment est dirigé vers Le Clos le Roi où il arrive vers 16h00, fait une grande halte et s'installe au bivouac dans un champ au sud du hameau."

En fait, c'est le 41° Régiment d'Infanterie de Rennes qui était en première ligne ce jour là, arrivé la veille dans la ferme du Gué Barré. Dans son journal de marche on lit:

"6 septembre: le 1er bataillon est en crochet défensif face à la ferme Gué Barré...
7 septembre: Les Allemands ont profité de la nuit pour se retrancher en avant de la lisière du bois, à 500 m environ, en avant. Au petit jour, les sections du 1er et 2ème bataillon, la 9ème Cie les mitrailleuses du Régiment ouvrent un feu violent de front et en enfilade sur les tranchées allemandes. L'artillerie également ouvre le feu. Quelques soldats allemands quittent leur tranchée et essaient de gagner le bois. Ils sont fauchés par les balles. A 10 H les allemands arborent des mouchoirs blancs et se rendent. 200 hommes du 84 ° Régiment d'Infanterie allemand se constituent prisonniers. Les tranchées étaient pleines de cadavres allemands...."

Ce n'est pas tout-à-fait la même version.

Mais le résultat est identique.

Pas de jugement positif ou négatif de ma part. Cette guerre était affreuse. De part et d'autre de braves paysans, ouvriers, artisans, des pères de famille.







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