jeudi 31 décembre 2009

Le drame du Moulin d'Ivray

Un mariage et quatre enterrements
Histoire romancée par Zabulle

Anne Chalumeau, née Ory, presse un petit mouchoir blanc en dentelle sur ses yeux humides et étouffe un sanglot. Il est bon de montrer à la clientèle que la riche tenancière de l'hôtel de la Boule d'Or cache, sous une opulente poitrine, un coeur de mère. Le maire d'Etriché, Pierre Leblanc, officie avec une solennité particulière, adaptée à ces notables du Moulin d'Ivray, réputés pour leur mauvais caractère et la haute opinion qu'ils ont d'eux mêmes. Pierre Chalumeau, le père de la mariée, a coutume de dire que "les pauvres gens sont trop bêtes pour s'enrichir". Anne Ory, lorsqu'elle a épousé Pierre, le 30 août 1785, apportait une rente de 300 écus. Cela a permis au maréchal taillandier de devenir propriétaire de l'auberge du Cheval Blanc, rebaptisée hôtel de la Boule d'Or, ce qui sonne beaucoup mieux, comme les écus des infortunés voyageurs qui y font étape.
Aujourd'hui, Anne, leur fille, épouse un marchand de chevaux de Feneu, Louis Jean Ménard. Louis a longtemps tourné autour de la gamine avant d'obtenir la main de l'héritière. Il n'a pas déplu aux deux tenanciers de voir entrer dans la famille un marchand dont l'activité sera, après tout, complémentaire à la leur. Le jeune homme comblera cet espoir au delà de leurs espérances.
La jeune Anne paraphe fièrement le registre que lui tend le maire, puis c'est au tour de Louis Jean qui signe L.J.Menard, puis Pierre calligraphie ses noms et prénoms en tirant la langue. D'habitude, les mariés et les témoins déclarent "ne savoir signer" mais, aujourd'hui, la famille Chalumeau en remontre à cette assistance de paysans, commerçants, meuniers, huiliers et artisans qui apprécie l'exploit à sa juste valeur.
Les oncles du marié, des Piron de Feneu, commerçants aisés sont témoins du mariage. Le plaisir de Pierre est décuplé quand tous ces Piron là et la mère de l'époux, Jeanne Piron, déclarent ne savoir signer! il n'est de petite victoire! Quant au père du marié, Louis Menard, il a rendu son âme à Dieu en 1810, cela lui épargnera bien des tracas!




Voilà donc, ci-dessus, trois signatures émouvantes. Anne, Louis Jean, et Pierre se sont penchés successivement sur le registre d'Etriché qu'ils ont paraphé, le 1er février 1814.
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En joyeuse théorie, la noce embarque dans plusieurs carrioles, pour rejoindre l'hôtel de la Boule d'Or, à Moulin d'Ivray. Exceptionnellement, la famille n'a pas compté ses écus pour rincer tout ce beau monde et l'Anjou va couler à flots, rouge sombre, comme sang de voyageur!
Quelques invités ont peut être tressailli en entendant le rire de Pierre Chalumeau, échauffé par les verres de vin. Car, on dit dans le village "quand Pierre rit, c'est du malheur qui passe". C'est tellement vrai qu'on le surnomme Pierrerit mais jamais devant lui et avec des frissons dans le dos.


Nul n'en est certain mais, il semble bien que quelques âmes de voyageurs, tristes et sanguinolentes, errent déjà entre ces murs. Les poutres basses, les cheminées et les armoires savent que certaines nuits, Pierre aiguisait son grand couteau. Les charroyères, ces bateaux plats qui servent à faire passer du bois d'une rive de la Sarthe à l'autre savent que certains colis n'étaient pas de bois et n'ont pas atteint l'autre rive. (J'avoue que ce ne sont là que pures élucubrations!)
Bref, si un jour, Fernandel était descendu à l'auberge en robe de bure, cela n'aurait étonné personne, si vous voyez ce que je veux dire!

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Comment Louis Jean et sa jeune épouse ont ils adhéré à cette entreprise familiale? Nul ne le sait mais, d'autres disparitions eurent lieu dans la contrée et le cocher de la malle poste fut un jour poignardé par deux larrons ressemblant fort au père et au gendre.
Enfin, le 4 mai 1817, un certain Xavier Deloeuvre, client de l'auberge, fut retrouvé à l'écluse de Porte Bise, en piteux état. On constata qu'il avait reçu un coup de couteau dans la bouche et que ce n'était pas en se curant les dents qu'il avait pu se faire pareille blessure.
La population se déchaina alors contre les Chalumeau et, par jugement du 10 novembre 1817, les deux Anne, Pierre et Louis furent condamnés à mort. Je commets volontairement ce saisissant raccourci entre le mariage et la condamnation. Il me serait difficile en ce blog de vous raconter tout ce qui se passa entre le mariage et l'exécution des comparses.
L'idée me vint de vous rendre témoins de ce terrible destin à la lecture de l'acte de mariage et des actes de décès ci-dessous. Le 3 février 1818, soit trois années et deux jours après le mariage, le père, la mère et le gendre montaient sur l'échafaud, a Angers. La jeune mariée eut le bon goût d'échapper à cette sentence (sans doute en s'empoisonnant) le 9 janvier 1818.
Ne soyez pas déçus, vous trouverez sur le web le récit plus détaillé des meurtres perpétrés par ces joyeux drilles. Vous pouvez aussi acheter l'excellent livre de René d'Anjou et Cyriaque de Pocé paru aux éditions du Petit Pavé en avril 2001. Je n'aurais aucun mérite à plagier ces auteurs.

Ci-dessous les trois actes de décès du 3 février 1818 à Angers




Anne échappe à l'exécution en s'empoisonnant. Curieusement, cet acte de décès est enregistré par erreur dans les actes de naissance de la ville d'Angers. Est-ce une seconde naissance pour la fille infortunée de Pierrerit? (Information recueillie auprès de (jodetrefia) Geneanet.*
Ci_dessous: les Chalumeau bénéficièrent d'abord d'un non lieu, prononcé par le tribunal de Baugé et rentrèrent triomphalement à Moulin d'Ivray dans une charrette sur laquelle ils arboraient une banderole indiquant: "laissez passer les innocents".

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Pèlerinage sur les lieux du crime, le 1er janvier 2010.
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1) L'auberge telle qu'elle apparaît aujourd'hui.


2) la ruelle, juste devant l'auberge, par laquelle Pierrerit emmena, sans doute, le corps de l'infortuné Xavier Deloeuvre.3) Les bords de Sarthe, juste devant l'auberge.
Epilogue: Emporté par ma fougue juvénile, j'ai instruit à charge, tout au long de ce billet. Or, il est possible que ces aubergistes aient été victimes du délit de sale gueule ou de sale réputation. La preuve de leurs forfaits n'a pas vraiment été apportée. L'époque était troublée et Xavier Delœuvre a peut-être fait une mauvaise rencontre en bord de Sarthe. Tout s'est joué sur les accusations de leur servante, Louise Duvau, étayées par celles de voisins. Il y avait tous les ingrédients d'une erreur judiciaire, la haine, la jalousie, la peur, la médisance, la calomnie. De nos jours, les scientifiques auraient analysé les murs et planchers de l'auberge pour y trouver des preuves. En 1817, les preuves matérielles furent inexistantes.
Quant à fernandel, il s'est retranché derrière le principe du secret de la confession......
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