Un fantassin ça
marche
7 au 10 août 1914
De cantonnement en cantonnement.
Le cantonnement de Sexey n’était
que la première étape des pérégrinations à venir. La robustesse des godillots
de l’Intendance va être mise à l’épreuve.
Cela commença le 7 août.
La veille, les soldats ont
préparé leur paquetage complet. Tout doit rentrer dans le havresac, avec les
godillots de rechange. On range soigneusement dans la petite musette, à fixer
sur le ceinturon, les vivres d’une journée et quelques affaires personnelles,
tabac, pipe, papier à lettre. Cent quatre vingt munitions ont été perçues et
rangées dans quatre cartouchières.
Jean Baptiste soupèse le tout et
adresse à ses compagnons une grimace inquiète. Ils savent qu’ils quittent
définitivement ce cantonnement mais leur destination est restée secrète.
Réveil à 3H00 du matin pour ceux
qui ont trouvé le sommeil. Les rangs se forment devant les baraques. Les hommes
ont des allures de hannetons maladroits, engoncés dans leur grande capote,
harnachés, lourds et grognons.
Départ.
Rien de plus lugubre, en plein
milieu de la nuit, que ces colonnes de soldats,
piétinant en rang par trois, les chemins creux et les routes.
Pont-St-Vincent, Messein,
Cléville, Ville-en-Vernois entendent la cohorte marteler les rues. Des volets
claquent, des silhouettes se penchent. Le général de Castelnau équilibre ses
forces au sud de Nancy. Pour le 135ème Régiment d’Infanterie, cela
signifie 10 heures de marche, dans la fraicheur de la nuit puis au soleil du
mois d’août. Le havresac est incroyablement lourd, le fusil pèse à l’épaule.
La capote bât les mollets.
Chaque homme porte un morceau de
la tente collective, une pelle, une hache ou une bèche.
Dans la fraicheur de la nuit,
l’équipement était presque supportable. Sous le soleil de midi, c’est un
supplice. Lors des rares haltes, on tombe sur le talus ou dans le champ mais,
les cartouchières scient le dos, le corps est moite, le fusil encombrant.
Ce n’est pourtant qu’une simple
marche, sur du chemin de terre ou de la route. Lorsqu’ils
monteront à l’assaut, au débouché d’une tranchée, dans la boue, les trous
d’obus, à travers les barbelés, ils seront pareillement équipés. C’est
incroyable mais vrai. Courir, tomber, se relever, tirer, dans un pareil
accoutrement !
En Allemagne et en Lorraine,
d’autres colonnes sont en marche, mieux équipées, plus légères, moins voyantes.
Les Allemands se mettent en position. Ils ont des grenades à la ceinture. Leur
baïonnette est plus courte, plus maniable, utilisable comme un grand poignard.
Le casque à pointe est plus efficace contre les balles et les coups. Une veste bien plus légère que la grande capote des français les habille. Le
fusil, un Mauser Gewehr 88, surclasse le Lebel par sa rapidité de mise en
œuvre, sa résistance à la boue.
On installe des nids de
mitrailleuses, une arme que les français ne maîtrisent pas encore. Puis on
attend, patiemment, que les français viennent courir dans ce vaste champ de
tir. Encore sept jours avant le grand massacre.
En attendant, les pantalons
rouges arrivent à Saint-Nicolas-du-Port à 16H00.
La perception des chambres semble
interminable à cette troupe épuisée. Du coin de l’œil, on observe, avec une
certaine jalousie, deux groupes
d’artilleurs du 33ème R.A., frais et dispos après un voyage en
camion. Des éclaireurs montés bichonnent leurs chevaux.
Deux litres d’eau sont alloués
par les fourriers pour enlever toute cette sueur. Les tenues sont pendues au
dessus des lits. Certains sombrent dans une sorte de léthargie comateuse.
François Vivien secoue ses
camarades à l’heure de la
soupe. Les cuistots s’agitent autour de la roulante. Dans la
queue des bidasses une rumeur circule :
-
On remet ça demain !
-
Tu plaisantes !
-
Il parait que nous montons demain au
cantonnement d’alerte. Ici, c’est l’arrière. Rebelote mon camarade !
-
Nom de D… de nom de D… y vont nous tuer les
vaches !
-
Le départ est à 5H00. Ne déballe pas ton sac mon
gars !
Le lendemain 8 août, en effet, le
régiment est en ordre de marche à 5H00, près des faisceaux de fusils. Les
tenues sont à peine sèches. Les muscles sont douloureux, les ampoules à vif.
Quatre heures à faire le pied de
grue, à guetter les allées et venues des sous-officiers. Certains dorment
debout, appuyés sur un muret ou contre un arbre.
A 9H00, le contre ordre arrive,
pas de départ, dislocation. Pas trop d’explications non plus. C’est comme ça.
Rares sont ceux qui apprécient
alors l’idée du colonel. Une heure et demi d’exercices de combat, bataillon par
bataillon. Cela les amène à l’heure des cuistots, puis à l’heure du coucher,
puis au lendemain.
Le 9 août l’histoire varie, prêt
à 5h00, le régiment, cette fois là, prend le départ. Heureusement, la marche ne
dure que quatre heures. En milieu de matinée les fantassins arrivent à Fléville
(1er et 3ème bataillon), Ville-en-Vermois (2ème bataillon). Les plus chanceux
ont fait 5 km,
les autres 10 km.
Une promenade. Ils sont au sud de Nancy, sur des positions de défense de la
ville.
On s’installe, tant bien que mal,
dans deux corps de ferme, les écuries, les étables, les greniers à foin. Chacun
s’y aménage un petit coin de paradis où, entre deux tours de garde, on se
laisse tomber.
Le 10 août est une journée comme
on en rêve chez les fantassins. Aucune activité majeure. On soigne les bobos.
On fait la queue devant la pompe à main pour se laver à grande eau. Certains
trouvent des œufs. Quelques poulets disparaissent mystérieusement.
C’est un intervalle de bonheur.
Le dernier de ce mois d’août. Ils ne le savent pas encore.
L’offensive des français, en
Lorraine, n’a pas encore commencé. Il reste cinq jours.
Le Petit Journal titre, en
première page :
« L’Autriche contre la
France » : On annonce que l’Autriche, venant au secours de
l’Allemagne, envoie des troupes sur notre frontière.
« Les atrocités allemandes
» : Chaque jour qui passe accumule les actes monstrueux commis par les
Allemands et leurs crimes contre la civilisation.
« Le retour à Paris de M de
Freycinet » : M de Freycinet, qui prenait les eaux … près de la frontière
Suisse-Allemande, a été obligé de rentrer à Paris en passant
par Genève…
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