dimanche 30 mars 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Entreprise de terrassements dans le secteur du Grand Couronné.!



Dans le secteur du Grand Couronné



11 au 18 août 1914

Travaux de défense.



Jean-Baptiste, Pierre et François savent, depuis la veille, que les vacances à la ferme sont terminées. Comme d’habitude, ils ne connaissent pas la destination de leur prochaine « promenade ».

Ils ont préparé les havresacs.

Sourde inquiétude. La ligne de séparation entre les Allemands et les Français est à une cinquantaine de km.

Le 11 août, à 5H00 du matin, le 2ème bataillon se met en branle. Il rejoint l’Etat-major du régiment et les deux autres bataillons à Fléville.

Sans attendre, toute la troupe continue sa progression. Bientôt, la nouvelle circule de rang en rang.

-         Nord-ouest, nord-ouest.

-         Nous allons à Nancy.

En effet, la matinée s’avançant, la densité des habitations augmente. Les rues se garnissent de curieux. C’est une journée de grosse chaleur. Les nancéens, en chemise ou en maillots de corps, regardent passer ces soldats en pantalon de laine, avec leurs longues capotes. Les godillots martèlent le pavé.

A une jolie fille qui lui tend une fleur, Jean-Baptiste marmonne :

-         T’aurais pas plutôt un verre d’eau ?

Ce que tous ces fantassins en sueur ne savent pas c’est qu’au même moment, toute la 18ème Division d’Infanterie traverse Nancy, en deux colonnes, plein nord.

Ceux qui pensaient cantonner dans la belle cité seront vite déçus. Les nancéens applaudissent et la caravane passe trainant avec elle des effluves de sueur.

A midi, ils sont dans la banlieue nord.

Plus de vingt km ont déjà été parcourus avant qu’ils n’aient le droit de s’effondrer sur place. Interdiction leur est faite de quitter leur harnachement.

Il est midi. Soleil au zénith. On ouvre les musettes et on entame les provisions de la journée. Beaucoup de gourdes sont vides. Quelques habitants apportent de l’eau. Une fontaine est prise d’assaut.

François met la main sur le bras de Jean-Baptiste :

-         Ecoute !

Depuis deux heures certains avaient perçu ces bruits d’orage dans le nord. Mais, lors de cette pause, tous comprennent que des canons tonnent vers le nord. De gros canons.

Ils l’apprendront plus tard, les Allemands ont entrepris depuis 10H00 du matin, de bombarder Pont-à-Mousson, pourtant ville ouverte.  Ils utilisent leur artillerie lourde, déployée à Bouxières-sous-Froidmont, à sept km au nord de la ville. Le collège et l’hôpital ont été atteints.

Mais, les sous-officiers arrivent en courant et les malheureux soldats doivent soulever leur carcasse, s’aligner et repartir. La journée n’est pas finie.

Ils laissent Nancy derrière eux, traversent Champigneulles, Bouxières-aux-Chênes. En fin d’après midi, le 1er bataillon pose ses sacs à Custines, le reste continue jusqu’à Millery où il partage les cantonnements avec le 7ème Régiment de Hussards.

Quarante km dans les godillots, cela n’incite pas à la veillée d’autant plus que cela sent l’étape et non la fin des mouvements. Le rata avalé, la symphonie des ronflements commence.

Leurs craintes étaient justifiées. Le clairon sonne à 4H00 du matin, le 12 août.  Cette fois quelques insultes accueillent les sergents qui viennent secouer les récalcitrants.

-         C’est y qu’on irait à Berlin à pied, des fois ?

-         J’rentre plus dans mes godasses moi !

-         T’avais qu’à pas les enl’ver.

Bon gré, mal gré, il faut bien rejoindre les rangs.

Or, si la marche ne va pas être bien longue, la journée le sera pour des gens qui ont les pieds meurtris, les épaules et le dos marqués par les sangles du sac et les cartouchières. Rares sont ceux qui ont pu faire une rapide toilette hier soir. Chacun baigne dans son jus.

Le front n’est pas très loin. Au nord de Millery, coule la Nadagne, un affluent de la Moselle. C’est une charmante petite rivière qui serpente entre des collines boisées.

L’avant de la brigade est sur une ligne allant de Loisy à Ste-Geneviève et Landremont, il est dévolu au 77ème Régiment d’Infanterie.  

Le 7ème hussard est encore un peu plus avancé et couvre le front.

Nous sommes au cœur d’une région appelée « Le Grand Couronné », ligne de crêtes, aménagées sommairement, depuis la défaite de 1870, pour protéger Nancy.

Le 1er bataillon rejoint les cantonnements de réserve de Bézaumont. Les deux autres gagnent le col de Millery, où ils bivouaqueront.

Sur la gauche, à une dizaine de km, plusieurs quartiers de la ville meurtrie de Pont-à-Mousson fument encore. La Moselle coule paisiblement sous ses ponts de pierre.

En traversant la Nadagne, le 1er bataillon a aperçu des baigneurs et des baigneuses. Deux mondes se croisent et s’interpellent. Cela en sera ainsi pendant toute la guerre.

Vers midi, quand François, Jean-Baptiste et Pierre viennent percevoir des pioches, pelles et brouettes, ils comprennent qu’un autre type d’exercice va occuper leurs longues journées.

Ils sont presque heureux de prendre en main ces outils. Ces rudes paysans sont habitués à leur maniement. En plus, ils apprécient de pouvoir poser au bivouac le havresac et la grande capote bleue.

Des tranchées existent déjà à mi-pente des collines dominant la Nadagne. Il s’agit d’en doubler la quantité. Elles permettent de battre tout le fond de la vallée. Un roulement est organisé. Quand une compagnie travaille, l’autre surveille et protège. Il fait une chaleur épouvantable. Impossible de répondre à la tentation d’une baignade même pour ceux qui sont employés à installer des barbelés, récupérés dans les environs et retendus sur les rives mêmes de la jolie rivière.

Jusqu’à 22H00, les fantassins s’activent. Puis, quelques uns occupent les tranchées pour la nuit, les autres rejoignent le bivouac.

« La nuit se passe sans incident » (Journal des Marches et opérations du régiment).

Le 13 août, nos amis retroussent leurs manches et retournent sur le chantier en cours. On les a laissés dormir un peu plus longtemps que d’habitude. Le seul fait marquant de la journée est le départ de trois compagnies vers Ste-Geneviève et Loisy où elles vont renforcer le 77ème R.I. L’une d’entre elles rejoint le château de Dombasle et Port-sur-Seille, en bordure de la forêt de Facq. Ces soldats sont véritablement à proximité des lignes allemandes. Des tireurs d’élite les guettent, l’ambiance est tendue, on prend des habitudes de gibier.

Du 14 au 17 août, Les mêmes travaux occuperont, à quelques variantes près, les fantassins du 135ème R.I. Ils sont devenus terrassiers. Quelques veinards se rendent, chaque jour, sur le pont de Marbache pour en assurer la garde. Ils apprécient cette occupation purement militaire, peu fatigante, et voient passer de nombreux civils qui fuient la région.

A partir du 18 août, l’ambiance est au départ. Les soldats sentent qu’il va se passer quelque chose. Des regroupements s’opèrent. Les havresacs et les godillots reprennent du service. Le régiment évolue, par compagnie ou par bataillon, vers l’est. Ordres et contre-ordres se succèdent. En route vers Moivrons, les 2ème et 3ème bataillons  s’arrêtent à Belleau. Le 1er bataillon quitte les bois de Facq pour Loisy.

D’autres régiments vont occuper ces différentes positions. Pour le 135ème R.I., ce n’est pas dans ce secteur qu’un tragique destin l’attend. Le général de Castelnau a simplement décidé de l’envoyer ailleurs.

Demain, il va quitter définitivement le Grand Couronné. Sans boule de cristal, nos amis ne peuvent pas savoir que dans une semaine, les Allemands vont s’engouffrer entre Nancy et Lunéville, pensant y avoir trouvé un passage vers le sud. Ce sera la bataille de la trouée des Charmes.

Ils échoueront. Alors, du 4 au 13 septembre, ils se jetteront sur ces tranchées et ces barbelés que le 135ème R.I. vient de renforcer. Ses travaux vont contribuer à la défaite de cette offensive allemande.

Entretemps, le régiment aura rencontré un autre destin. Plus au nord, en Belgique.

Mais, c’est une autre histoire.



Le Petit Journal titre, en première page :

« Nous avons pris fortement pied en Alsace et en Lorraine » : Nos troupes ont enlevé les hauteurs au nord de la frontière…

« La première apparition des Turcos en Alsace » : Les Allemands trompés par la couleur de leur uniforme … se laissèrent approcher sans méfiance … Nos Turcos… faisaient couler dans leurs tranchées de véritables ruisseaux de sang.

« La santé du Pape » :le Giornale d’Italia dit que le Pape atteint d’un léger accès de fièvre, garde le lit.


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