Le baptême du feu
23 août 1914
Un massacre.
Pierre PERRAULT et François
VIVIEN sont adossés, avec leurs camarades du 1er bataillon, contre
le remblai nord de la route qui mène de Bièvre à Houdremont Depuis qu’un
instituteur de la Doutre a expliqué que Bièvre, cela voulait dire castor, il
les surnomme Castor et Pollux.
-
« Pourquoi Pollux ? » a dit François.
- « Trop long à expliquer » a
dit l’instituteur.
Le chef de bataillon de Lavalette
attend un ordre d’attaque qui ne viendra jamais.
Les balles commencent à siffler à
ce moment là ! Il est 7H00. C’est une fusillade nourrie. Elle provient des
bois situés au nord-ouest du village. La 9ème compagnie y est aux
prises avec les Allemands, débordée, décimée, elle se replie vers Bièvre. Elle
paie son tribu à la faucheuse.
De position d’attaque, la route
d’Houdremont passe au statut de position de défense. Il suffit de la traverser
et de s’en servir comme d’un rempart.
On s’y agrippe.
On peut voir nettement l’ennemi
prendre position sur la crête nord-ouest de Bièvre. Ils disposent, depuis cette
côte, d’une vue imprenable sur l’escarpement tenu par le 1er
bataillon. L’Etat-major du régiment est avec ce bataillon.
L’enfer se déchaine. L’Artillerie
allemande règle ses tirs sur des arbres qui bordent la route. Des sections
entières disparaissent sous les impacts. Certaines se débandent dans les près
alentour. Les officiers s’efforcent de remettre de l’ordre. Le commandant de
Lavalette est atteint à la jambe en cherchant à regrouper ses hommes.
Le pilonnage est méthodique. Rien
n’a préparé le régiment à un tel déluge de fer et de feu. On ne peut que subir,
chercher à disparaître dans le sol. Les Français font connaissance avec les
obus à balles, inconnus dans nos forces, avec les obus de calibre 105 qui
tombent en salves répétées.
Les artilleurs ennemis explorent
chaque pouce de terrain du bout de leurs canons, secteur par secteur. Rien
n’est épargné à nos fantassins.
Le village subit le même sort.
Les maisons sont en flamme. Les civils fuient vers le sud. A l’est, le 2ème bataillon est en
pleine retraite.
Castor et Pollux ne font plus
qu’un, ils ont sauté dans un entonnoir creusé à quelques mètres d’eux, dans la
pierraille du talus. Ils ne bougent plus, ne pensent plus, ne pleurent plus.
Ils attendent l’obus qui les ensevelira dans ce trou, ou un ordre de repli.
Bien que blessé, à 9H00, par un
éclat d’obus, le colonel de Bazelaire donne l’ordre de renforcer les quelques
sections qui continuent à tirer sur l’ennemi, à l’avant du dispositif.
Des mitrailleuses postées à
l’entrée ouest de Bièvre arrosent les positions ennemies avec succès. Une salve
d’obus, bien ajustée, les réduit au silence. Les deux lieutenants qui les
commandent, Sulfourt et Jannin, s’en sortent par miracle. Gaston
Sulfourt sera tué une semaine plus tard à Faux, dans les Ardennes.
Le colonel fait parvenir au 2ème
bataillon, un ordre de repli. Lui-même, avec le drapeau du régiment, gagne les
bois du sud.
Il est 10H45. Cela fait plus de 3
heures que nos forces subissent pilonnage sur pilonnage.
En bon ordre, échelon par
échelon, les bataillons commencent à gagner le sud. C’est sans compter avec les
observateurs allemands qui font allonger le tir au fur et à mesure de la
progression des premières troupes vers les bois.
C’est une hécatombe.
Le repli s’organise donc
différemment, les sections avancent en oblique vers l’endroit où la route de Bièvre
à Bellefontaine entre dans les bois. Castor et Pollux, qui maudissaient le
sous-lieutenant de Bazelaire, leur chef de section, de ne pas donner l’ordre de repli dès 10H45,
bénéficient de cette nouvelle tactique. Ils franchissent, haletants, l’orée de
la forêt, sains et saufs. Ils ne s’arrêtent pas pour autant sous les fraiches
frondaisons et obliquent vers le sud, pressés de fuir l’enfer. Bellefontaine
voit passer les débris de ce qui fut un beau régiment. Les blessés sont portés
sur des brancards de fortune. Les morts sont restés sur place, mélangés à la
terre.
Tous se rassemblent à Petit-Fays.
A Bièvre, les Allemands font
creuser une grande fosse dans laquelle ils jettent, pèle mêle, plus de 500 cadavres de fantassins. Ils ne
prennent même pas la peine de relever les identités de ces malheureux. On dit
que, pour bien remplir la fosse, ils fusillent quelques civils belges.
Bien plus tard, vers la fin de la
guerre, les Allemands feront rouvrir cette fosse pour y recueillir les
identités des soldats français, afin que ce manquement aux lois de la guerre ne
leur soit pas reproché.
Pour l’heure, la course vers le
sud continue. Les rescapés, hagards, marchent jusqu’à Vresse où ils
franchissent la Semois.
Ils s’arrêtent un instant à Laforêt, mais c’est un court
répit. Il faut enrayer l’avance ennemie en organisant la rive gauche de la Semois. A un km plus à
l’est, deux compagnies et une section de mitrailleurs prennent position sur le
pont de Alle.
Le reste du régiment parcourt
encore 5 km
vers le sud et les hommes peuvent enfin s’effondrer sur de vagues litières de
paille, à Sugny.
La frontière française n'est plus qu'à deux km.
Les hommes se comptent. Les amis
se cherchent. Les pays se retrouvent. Il manque un fantassin sur deux. C’est
inimaginable et pourtant vrai. Il manque 17 officiers et 1500 soldats, blessés,
tués ou disparus. Ils ont été placés sous un énorme marteau pilon. Certains
n’ont pas tiré un seul coup de fusil. Tous savent maintenant que la guerre sera
cruelle, effrayante et longue. Ils n’imaginent pas encore qu’elle va durer 4
ans.
La nuit, elle, sera très courte.
Le Petit Journal titre, en
première page :
« Sans foi ni loi» : La
France qui a la plus grande confiance dans la bravoure de ses armées et dans la
tactique de leurs chefs, attend avec une anxiété bien naturelle le résultat des
grandes batailles livrées sur toute sa frontière.…
« Encore des
atrocités » : A Aershot, les troupes prussiennes ont fusillé en bloc,
froidement et sans motifs, le bourgmestre et un groupe d’habitants qui
l’accompagnaient.
« L’officier incendiaire d’Affleville » :26
tués, 6 blessés, 6 chevaux tués, Allemands : 2 blessés. Certains
témoins reconnurent immédiatement
l’incendiaire.
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