dimanche 30 mars 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Entreprise de terrassements dans le secteur du Grand Couronné.!



Dans le secteur du Grand Couronné



11 au 18 août 1914

Travaux de défense.



Jean-Baptiste, Pierre et François savent, depuis la veille, que les vacances à la ferme sont terminées. Comme d’habitude, ils ne connaissent pas la destination de leur prochaine « promenade ».

Ils ont préparé les havresacs.

Sourde inquiétude. La ligne de séparation entre les Allemands et les Français est à une cinquantaine de km.

Le 11 août, à 5H00 du matin, le 2ème bataillon se met en branle. Il rejoint l’Etat-major du régiment et les deux autres bataillons à Fléville.

Sans attendre, toute la troupe continue sa progression. Bientôt, la nouvelle circule de rang en rang.

-         Nord-ouest, nord-ouest.

-         Nous allons à Nancy.

En effet, la matinée s’avançant, la densité des habitations augmente. Les rues se garnissent de curieux. C’est une journée de grosse chaleur. Les nancéens, en chemise ou en maillots de corps, regardent passer ces soldats en pantalon de laine, avec leurs longues capotes. Les godillots martèlent le pavé.

A une jolie fille qui lui tend une fleur, Jean-Baptiste marmonne :

-         T’aurais pas plutôt un verre d’eau ?

Ce que tous ces fantassins en sueur ne savent pas c’est qu’au même moment, toute la 18ème Division d’Infanterie traverse Nancy, en deux colonnes, plein nord.

Ceux qui pensaient cantonner dans la belle cité seront vite déçus. Les nancéens applaudissent et la caravane passe trainant avec elle des effluves de sueur.

A midi, ils sont dans la banlieue nord.

Plus de vingt km ont déjà été parcourus avant qu’ils n’aient le droit de s’effondrer sur place. Interdiction leur est faite de quitter leur harnachement.

Il est midi. Soleil au zénith. On ouvre les musettes et on entame les provisions de la journée. Beaucoup de gourdes sont vides. Quelques habitants apportent de l’eau. Une fontaine est prise d’assaut.

François met la main sur le bras de Jean-Baptiste :

-         Ecoute !

Depuis deux heures certains avaient perçu ces bruits d’orage dans le nord. Mais, lors de cette pause, tous comprennent que des canons tonnent vers le nord. De gros canons.

Ils l’apprendront plus tard, les Allemands ont entrepris depuis 10H00 du matin, de bombarder Pont-à-Mousson, pourtant ville ouverte.  Ils utilisent leur artillerie lourde, déployée à Bouxières-sous-Froidmont, à sept km au nord de la ville. Le collège et l’hôpital ont été atteints.

Mais, les sous-officiers arrivent en courant et les malheureux soldats doivent soulever leur carcasse, s’aligner et repartir. La journée n’est pas finie.

Ils laissent Nancy derrière eux, traversent Champigneulles, Bouxières-aux-Chênes. En fin d’après midi, le 1er bataillon pose ses sacs à Custines, le reste continue jusqu’à Millery où il partage les cantonnements avec le 7ème Régiment de Hussards.

Quarante km dans les godillots, cela n’incite pas à la veillée d’autant plus que cela sent l’étape et non la fin des mouvements. Le rata avalé, la symphonie des ronflements commence.

Leurs craintes étaient justifiées. Le clairon sonne à 4H00 du matin, le 12 août.  Cette fois quelques insultes accueillent les sergents qui viennent secouer les récalcitrants.

-         C’est y qu’on irait à Berlin à pied, des fois ?

-         J’rentre plus dans mes godasses moi !

-         T’avais qu’à pas les enl’ver.

Bon gré, mal gré, il faut bien rejoindre les rangs.

Or, si la marche ne va pas être bien longue, la journée le sera pour des gens qui ont les pieds meurtris, les épaules et le dos marqués par les sangles du sac et les cartouchières. Rares sont ceux qui ont pu faire une rapide toilette hier soir. Chacun baigne dans son jus.

Le front n’est pas très loin. Au nord de Millery, coule la Nadagne, un affluent de la Moselle. C’est une charmante petite rivière qui serpente entre des collines boisées.

L’avant de la brigade est sur une ligne allant de Loisy à Ste-Geneviève et Landremont, il est dévolu au 77ème Régiment d’Infanterie.  

Le 7ème hussard est encore un peu plus avancé et couvre le front.

Nous sommes au cœur d’une région appelée « Le Grand Couronné », ligne de crêtes, aménagées sommairement, depuis la défaite de 1870, pour protéger Nancy.

Le 1er bataillon rejoint les cantonnements de réserve de Bézaumont. Les deux autres gagnent le col de Millery, où ils bivouaqueront.

Sur la gauche, à une dizaine de km, plusieurs quartiers de la ville meurtrie de Pont-à-Mousson fument encore. La Moselle coule paisiblement sous ses ponts de pierre.

En traversant la Nadagne, le 1er bataillon a aperçu des baigneurs et des baigneuses. Deux mondes se croisent et s’interpellent. Cela en sera ainsi pendant toute la guerre.

Vers midi, quand François, Jean-Baptiste et Pierre viennent percevoir des pioches, pelles et brouettes, ils comprennent qu’un autre type d’exercice va occuper leurs longues journées.

Ils sont presque heureux de prendre en main ces outils. Ces rudes paysans sont habitués à leur maniement. En plus, ils apprécient de pouvoir poser au bivouac le havresac et la grande capote bleue.

Des tranchées existent déjà à mi-pente des collines dominant la Nadagne. Il s’agit d’en doubler la quantité. Elles permettent de battre tout le fond de la vallée. Un roulement est organisé. Quand une compagnie travaille, l’autre surveille et protège. Il fait une chaleur épouvantable. Impossible de répondre à la tentation d’une baignade même pour ceux qui sont employés à installer des barbelés, récupérés dans les environs et retendus sur les rives mêmes de la jolie rivière.

Jusqu’à 22H00, les fantassins s’activent. Puis, quelques uns occupent les tranchées pour la nuit, les autres rejoignent le bivouac.

« La nuit se passe sans incident » (Journal des Marches et opérations du régiment).

Le 13 août, nos amis retroussent leurs manches et retournent sur le chantier en cours. On les a laissés dormir un peu plus longtemps que d’habitude. Le seul fait marquant de la journée est le départ de trois compagnies vers Ste-Geneviève et Loisy où elles vont renforcer le 77ème R.I. L’une d’entre elles rejoint le château de Dombasle et Port-sur-Seille, en bordure de la forêt de Facq. Ces soldats sont véritablement à proximité des lignes allemandes. Des tireurs d’élite les guettent, l’ambiance est tendue, on prend des habitudes de gibier.

Du 14 au 17 août, Les mêmes travaux occuperont, à quelques variantes près, les fantassins du 135ème R.I. Ils sont devenus terrassiers. Quelques veinards se rendent, chaque jour, sur le pont de Marbache pour en assurer la garde. Ils apprécient cette occupation purement militaire, peu fatigante, et voient passer de nombreux civils qui fuient la région.

A partir du 18 août, l’ambiance est au départ. Les soldats sentent qu’il va se passer quelque chose. Des regroupements s’opèrent. Les havresacs et les godillots reprennent du service. Le régiment évolue, par compagnie ou par bataillon, vers l’est. Ordres et contre-ordres se succèdent. En route vers Moivrons, les 2ème et 3ème bataillons  s’arrêtent à Belleau. Le 1er bataillon quitte les bois de Facq pour Loisy.

D’autres régiments vont occuper ces différentes positions. Pour le 135ème R.I., ce n’est pas dans ce secteur qu’un tragique destin l’attend. Le général de Castelnau a simplement décidé de l’envoyer ailleurs.

Demain, il va quitter définitivement le Grand Couronné. Sans boule de cristal, nos amis ne peuvent pas savoir que dans une semaine, les Allemands vont s’engouffrer entre Nancy et Lunéville, pensant y avoir trouvé un passage vers le sud. Ce sera la bataille de la trouée des Charmes.

Ils échoueront. Alors, du 4 au 13 septembre, ils se jetteront sur ces tranchées et ces barbelés que le 135ème R.I. vient de renforcer. Ses travaux vont contribuer à la défaite de cette offensive allemande.

Entretemps, le régiment aura rencontré un autre destin. Plus au nord, en Belgique.

Mais, c’est une autre histoire.



Le Petit Journal titre, en première page :

« Nous avons pris fortement pied en Alsace et en Lorraine » : Nos troupes ont enlevé les hauteurs au nord de la frontière…

« La première apparition des Turcos en Alsace » : Les Allemands trompés par la couleur de leur uniforme … se laissèrent approcher sans méfiance … Nos Turcos… faisaient couler dans leurs tranchées de véritables ruisseaux de sang.

« La santé du Pape » :le Giornale d’Italia dit que le Pape atteint d’un léger accès de fièvre, garde le lit.


jeudi 27 mars 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Un fantassin, ça marche!



Un fantassin ça marche



7 au 10 août 1914

De cantonnement en cantonnement.



Le cantonnement de Sexey n’était que la première étape des pérégrinations à venir. La robustesse des godillots de l’Intendance va être mise à l’épreuve.

Cela commença le 7 août.

La veille, les soldats ont préparé leur paquetage complet. Tout doit rentrer dans le havresac, avec les godillots de rechange. On range soigneusement dans la petite musette, à fixer sur le ceinturon, les vivres d’une journée et quelques affaires personnelles, tabac, pipe, papier à lettre. Cent quatre vingt munitions ont été perçues et rangées dans quatre cartouchières.

Jean Baptiste soupèse le tout et adresse à ses compagnons une grimace inquiète. Ils savent qu’ils quittent définitivement ce cantonnement mais leur destination est restée secrète.

Réveil à 3H00 du matin pour ceux qui ont trouvé le sommeil. Les rangs se forment devant les baraques. Les hommes ont des allures de hannetons maladroits, engoncés dans leur grande capote, harnachés, lourds et grognons.

Départ.

Rien de plus lugubre, en plein milieu de la nuit, que ces colonnes de soldats,  piétinant en rang par trois, les chemins creux et les routes.

Pont-St-Vincent, Messein, Cléville, Ville-en-Vernois entendent la cohorte marteler les rues. Des volets claquent, des silhouettes se penchent. Le général de Castelnau équilibre ses forces au sud de Nancy. Pour le 135ème Régiment d’Infanterie, cela signifie 10 heures de marche, dans la fraicheur de la nuit puis au soleil du mois d’août. Le havresac est incroyablement lourd, le fusil pèse à l’épaule.

La capote bât les mollets.

Chaque homme porte un morceau de la tente collective, une pelle, une hache ou une bèche.

Dans la fraicheur de la nuit, l’équipement était presque supportable. Sous le soleil de midi, c’est un supplice. Lors des rares haltes, on tombe sur le talus ou dans le champ mais, les cartouchières scient le dos, le corps est moite, le fusil encombrant.

Ce n’est pourtant qu’une simple marche, sur du chemin de terre ou de la route. Lorsqu’ils monteront à l’assaut, au débouché d’une tranchée, dans la boue, les trous d’obus, à travers les barbelés, ils seront pareillement équipés. C’est incroyable mais vrai. Courir, tomber, se relever, tirer, dans un pareil accoutrement !

En Allemagne et en Lorraine, d’autres colonnes sont en marche, mieux équipées, plus légères, moins voyantes. Les Allemands se mettent en position. Ils ont des grenades à la ceinture. Leur baïonnette est plus courte, plus maniable, utilisable comme un grand poignard. Le casque à pointe est plus efficace contre les balles et les coups. Une veste bien plus légère que la grande capote des français les habille. Le fusil, un Mauser Gewehr 88, surclasse le Lebel par sa rapidité de mise en œuvre, sa résistance à la boue.

On installe des nids de mitrailleuses, une arme que les français ne maîtrisent pas encore. Puis on attend, patiemment, que les français viennent courir dans ce vaste champ de tir. Encore sept jours avant le grand massacre.

En attendant, les pantalons rouges arrivent à Saint-Nicolas-du-Port à 16H00.

La perception des chambres semble interminable à cette troupe épuisée. Du coin de l’œil, on observe, avec une certaine jalousie,  deux groupes d’artilleurs du 33ème R.A., frais et dispos après un voyage en camion. Des éclaireurs montés bichonnent leurs chevaux.

Deux litres d’eau sont alloués par les fourriers pour enlever toute cette sueur. Les tenues sont pendues au dessus des lits. Certains sombrent dans une sorte de léthargie comateuse.

François Vivien secoue ses camarades à l’heure de la soupe. Les cuistots s’agitent autour de la roulante. Dans la queue des bidasses une rumeur circule :

-         On remet ça demain !

-         Tu plaisantes !

-         Il parait que nous montons demain au cantonnement d’alerte. Ici, c’est l’arrière. Rebelote mon camarade !

-         Nom de D… de nom de D… y vont nous tuer les vaches !

-         Le départ est à 5H00. Ne déballe pas ton sac mon gars !

Le lendemain 8 août, en effet, le régiment est en ordre de marche à 5H00, près des faisceaux de fusils. Les tenues sont à peine sèches. Les muscles sont douloureux, les ampoules à vif.

Quatre heures à faire le pied de grue, à guetter les allées et venues des sous-officiers. Certains dorment debout, appuyés sur un muret ou contre un arbre.

A 9H00, le contre ordre arrive, pas de départ, dislocation. Pas trop d’explications non plus. C’est comme ça.

Rares sont ceux qui apprécient alors l’idée du colonel. Une heure et demi d’exercices de combat, bataillon par bataillon. Cela les amène à l’heure des cuistots, puis à l’heure du coucher, puis au lendemain.

Le 9 août l’histoire varie, prêt à 5h00, le régiment, cette fois là, prend le départ. Heureusement, la marche ne dure que quatre heures. En milieu de matinée les fantassins arrivent à Fléville (1er et 3ème bataillon), Ville-en-Vermois  (2ème bataillon). Les plus chanceux ont fait 5 km, les autres 10 km. Une promenade. Ils sont au sud de Nancy, sur des positions de défense de la ville.

On s’installe, tant bien que mal, dans deux corps de ferme, les écuries, les étables, les greniers à foin. Chacun s’y aménage un petit coin de paradis où, entre deux tours de garde, on se laisse tomber.

Le 10 août est une journée comme on en rêve chez les fantassins. Aucune activité majeure. On soigne les bobos. On fait la queue devant la pompe à main pour se laver à grande eau. Certains trouvent des œufs. Quelques poulets disparaissent mystérieusement.

C’est un intervalle de bonheur. Le dernier de ce mois d’août. Ils ne le savent pas encore.

L’offensive des français, en Lorraine, n’a pas encore commencé. Il reste cinq jours.



Le Petit Journal titre, en première page :

« L’Autriche contre la France » : On annonce que l’Autriche, venant au secours de l’Allemagne, envoie des troupes sur notre frontière. 
« Les atrocités allemandes » : Chaque jour qui passe accumule les actes monstrueux commis par les Allemands et leurs crimes contre la civilisation.
« Le retour à Paris de M de Freycinet » : M de Freycinet, qui prenait les eaux … près de la frontière Suisse-Allemande, a été obligé de rentrer à Paris en passant par Genève…
 

samedi 22 mars 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. Le transport vers le front



En route vers le front



5 et 6 août 1914

Le transport par voie ferrée.



Pendant deux jours, les soldats se sont présentés à l’entrée de la caserne. Peu à peu, les bataillons ont pris forme, les chambres de la caserne se sont remplies de paysans, d’ouvriers, de domestiques, d’artisans ou d’instituteurs. Ils se sont jaugés, reconnus parfois, regroupés par affinité.
Une mécanique, assez bien huilée, s’est mise en place dès le 1er août. En fait, le plan XVII de l’Etat-major français est essentiellement une description des modes de constitution des régiments puis des modalités d’acheminement de ces régiments vers les frontières de la Lorraine et de l’Alsace.

Il est presque amusant de constater que les Allemands vont appliquer le plan Schieffen, qui consiste à envahir la Belgique puis à bifurquer sur Paris, pendant que les Français vont courir vers l’est. Tournez manège!

En attendant, et pour faire simple, 2 800 000 hommes rejoignent en deux jours les 800 000 hommes de l’armée d’active.

On puise, au sein des régiments d’active, l’encadrement nécessaire à la constitution d’un régiment frère, dit de réserve. Ainsi, le 135ème  Régiment d’Infanterie génère le 235ème R.I.

Les 3 et 4 août, les rappelés sont équipés par les sous-officiers d’active. Les tenues qu’ils perçoivent ne sont pas neuves, loin s’en faut. Certaines sont sales, au minimum poussiéreuses. Leur première tâche est de redonner un peu de lustre à ces équipements. Chacun perçoit également son Lebel 1886, de calibre 8mm. Avec sa Rosalie, une longue baïonnette, l’arme fait 1,89m. Elle sera bien encombrante dans les futures tranchées. Il n’y a guère de temps pour des exercices d’instruction.

Le 5 août, après une dernière revue d’effectifs dans la cour d’honneur, le régiment se met en branle. Un 1er bataillon, commandé par le Chef de Bataillon Chirigneau de Lavalette, parcourt les rues d’Angers. Le colonel est en tête, avec son Etat-major. On gagne la gare Saint-Laud où on embarque à 7H34.

Les angevins sont agglutinés sur le parcours de ces hommes, presque joyeux de partir se battre. Quelques parents, des fiancées, se sont postées ici et là. Une étreinte furtive, un baiser mouillé sur la joue, la femme pleure, le soldat fait le brave. Le flot est rouge et bleu. Ce n’est pas encore du sang.

Le 2ème bataillon arrive à 9H54. Le commandant Delétoille marche en tête. A 11H54, embarque le 3ème bataillon du commandant Noblet.

Puis un grand silence se fait. Les civils regagnent leurs foyers. Il y a comme un grand vide, une angoisse diffuse pointe son nez. Quand reviendront-ils ?

Dans leur wagon de 3ème classe, Jean-Baptiste, Pierre et François observent un moment les champs qui défilent. Le train contournera Tours, traversera Orléans, Chaumont. Pour ces paysans, la Meurthe-et-Moselle est une destination bien mystérieuse. On leur a dit qu’ils roulaient vers Nancy, sans plus de précisions. Des gens qui n’ont jamais dépassé Segré ou Château-Gontier, ne peuvent que s’étonner des changements de paysage. Pour l’heure c’est une épreuve pour les fesses. Trente heures de banquettes en bois, serrés comme des sardines, dans des wagons surchauffés. Parfois, le train s’arrête, pour ravitailler la locomotive et son tender. Parfois, il faut laisser passer un autre train, d’autres sueurs. Aller aux toilettes est toute une expédition. On pisse par la porte. Si le train fait une pause en rase campagne, on se rue vers les bosquets. Des coups de sifflets ramènent tout le monde au chaud. Les débrouillards dégottent un peu d’eau dans les gares. Les autres tirent la langue. Une lourde fatigue remplace l’excitation du départ. Les muscles sont douloureux. La musette est vide. L’odeur devient prégnante.


Le 6 août, à 13H44, le premier train arrive dans la gare de Maron. Un improbable orage d’été l’accueille qui fait penser un instant à une canonnade. Une heure s’écoule encore avant que groggys, hébétés, les hommes descendent sur le quai. Ils pensaient à une des nombreuses haltes qui ont émaillé leur voyage, ils reçoivent la consigne de prendre tout leur barda et leurs armes, ils sont arrivés. La gare est ordinaire, bâtie sur le modèle commun à toutes les petites villes desservies par le rail. Nancy est à 10 km.

On s’ébroue puis l’ordre de marche arrive. Les cantonnements sont à Sexey-aux-Forges. Cinq kilomètres, pour des fantassins de la grande guerre, c’est une promenade, même avec une trentaine de kg sur le dos.

Les trois brissarthois découvrent en bout de chemin les baraquements en bois qui leur serviront de chambrées. Le génie a érigé, en quelques jours, ces gites de fortune. Ils s’en contentent et les regretteront quand ils pataugeront dans les tranchées. Combien de poilus rêveront en silence à ces cantonnements de l’arrière quand, enfoncés dans la boue jusqu’aux genoux ils attendront sans trop d’espoir la corvée de soupe? La roulante fume au coin d’un bâtiment annexe. Un bol de soupe, un quignon de pain, un quart de rouge plus tard, ils s’effondrent sur les lits de camp et ronflent. Les officiers laissent faire, trop contents de prendre également un peu de repos.

Le colonel part chercher ses ordres auprès du général Justinien Lefèvre commandant le 18ème Division d’Infanterie.

Les deux autres bataillons arrivent à 16H00 et 18H30. Le dernier va cantonner à Neuves-Maisons, 10 km plus à l’est.



Le Petit Journal titre, en première page :

« Aberration » : Comment a-t-on pu machiner cette régression vers les pires époques de barbarie ? 

« Les fausses nouvelles… » : … pour assurer la suite de leur mobilisation, qui serait difficile, les Allemands racontent que Paris serait en révolution …

« Contre l’accaparement » : Tout commerçant vendant des denrées au dessus du cours du cours normal, ou accaparant ces denrées, sera traduit devant le Conseil de Guerre.












vendredi 21 mars 2014

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. La mobilisation en Anjou.



La Mobilisation



Dimanche 2 août 1914

Haut-Anjou



Dans la matinée du 2 août, dans les rues, les champs, les boutiques, les ateliers des villes et villages d’Anjou, les hommes et les femmes se figent soudain. On s’interpelle entre voisins, les moissonneurs rangent leurs faux et détellent les chevaux. Les enclumes se taisent. Les alouettes elles mêmes, au sommet de leur vol, semblent en lévitation. L’air résonne d’un lugubre et lancinant froissement d’airain.

On rejoint les parvis des églises, puis les mairies. Personne ne sait, mais tout le monde informe. Il fait chaud.

Le tocsin, avant d’envoyer les soldats dans les casernes, les assemble au café du village. On débouche les fillettes de vin rouge et les femmes sont envoyées à la messe. Après tout, c’est dimanche. Il en est ainsi de ces évènements qui précèdent les grandes hécatombes, ils enthousiasment les hommes et inquiètent les femmes. L’alcool aidant, le patriotisme s’exaspère, on aligne les cadavres sous les comptoirs, on se donne de grandes claques dans le dos. Les vieux, ceux qui ont déjà tâté du prussien en 1870, sont plus circonspects.

Certes, il faudra bien un jour reprendre l’Alsace et la Lorraine, mais cela aurait pu attendre la fin de la moisson. Nous n’étions pas à quelques mois près.



A Brissarthe, petit village du Haut Anjou où un certain Robert le Fort trouva la mort devant les Normands en 866, l’esprit n’est pas plus guerrier qu’ailleurs.



Ceux du 135ème Régiment d’Infanterie se sont regroupés à une table de la société de boule de fort. Jean Baptiste Delestre a vingt neuf ans, Pierre Perrault a trente trois ans, François Vivien en a trente deux. Pour les jeunots des classes 1913 et 1914, ce sont des vieux de la vieille, des anciens qui vont devoir endosser, de nouveau, l’uniforme des fantassins. Ils sont quatre ou cinq, accoudés au comptoir et qui se donnent des coups de coude en ricanant. Ces cinq là auront aussi leurs noms gravés sur le monument aux morts.



A Daumeray, de l’autre côté de la rivière, un bourg un peu plus gros, patrie de Rouget le Braconnier, les mêmes scènes se jouent. De ce village, onze hommes du 135ème Régiment d’Infanterie vont mourir au combat. Le parti pris est de les suivre et de les citer au moment où, par la baïonnette, le fusil, le canon ou les gaz, ils vont acquérir le droit de figurer sur le monument aux morts.



Pour l’heure, ils boivent du vin d’Anjou avant d’être abonnés à celui de l’Intendance, plus rude, plus râpeux, et parfois si absent des tranchées.



Tous ces hommes vont, demain, rejoindre à pied ou en carriole, la caserne Desjardins. Le colonel Georges de Bazelaire de Saulcy les y attend. Ils ne sont pas mal lotis. C’est un brave homme, soucieux du bien être de ses soldats. C’est aussi un brave tout court, qui les emmènera sans hésiter en enfer, dans vingt trois jours.



Le Petit Journal titre, en première page :

« Sous les armes » : A la mobilisation allemande le gouvernement français répond par la mobilisation française… 

« Appel à la Nation Française » : la mobilisation n’est pas la guerre. Dans les circonstances présentes, elle apparaît, au contraire, comme le meilleur moyen d’assurer la paix dans l’honneur.

« Bicyclette solide » : Un seul homme montait une bicyclette Armor dans le tour de France de 1914, le coureur Devroye. Après 5400 km de parcours, il a ramené sa machine en parfait état, tous les poinçons intacts. »

à suivre...

Feuilleton: Le 135ème Régiment d'Infanterie dans la guerre 1914-1918. La caserne. Le colonel Georges de Bazelaire de Saulcy.



La caserne



Samedi 1er août 1914

Caserne Desjardins Angers.



Le colonel Georges de Bazelaire de Saulcy, longiligne, le visage émacié, traverse la cour d’honneur du 135ème Régiment d’Infanterie. Quelques soldats, suivent du regard la silhouette de l’officier puis se tournent de nouveau vers le grand miroir qui jouxte le poste de garde. Ils ajustent leur vareuse, redressent leur coiffure de biffin avant de se présenter au sergent de permanence. Le sous-officier les toise de haut en bas puis désigne la sortie. Parfois, un malchanceux retourne vers sa chambrée, en quête d’une brosse à chaussures ou d’un peigne.

En ce samedi ensoleillé, les cafés de la Doutre vont faire le plein de soldats, engoncés dans leurs tenues de drap, moites et assoiffés. Les Vendéens et les Bretons vont s’éviter ou se mesurer. Ceux des villages d’Anjou sont rentrés chez eux pour aider à la moisson.

Le Chef de Corps s’est arrêté sous le drapeau, pensif. Hier, il était à l’Ecole Militaire, convoqué avec quelques uns de ses pairs auprès de l’inspecteur de l’Infanterie. Près de lui, un camarade saint-cyrien lui avait annoncé sa mise à la retraite. Les principes tactiques de Philippe Pétain lui ont valu des ennemis au sein de l’Etat-major. Il ne sera pas général.

Ensemble, ils avaient évoqué un autre de leurs camarade, entré chez les trappistes à 32 ans, parti ensuite chez les touaregs dont il étudiait la langue. Charles de Foucault était vraiment un original au sein de cette promotion de 1878.

Bref, un peu plus jeune que Philippe Pétain, Georges de Bazelaire a songé, lui aussi, à la retraite.

Un certain Gavrilo Princip, le 28 juin 1914, en a décidé autrement. En tuant un archiduc et son épouse, il remet en selle tous ces colonels, les renvoie vers un destin plus glorieux ou plus tragique.

Demain le tocsin va sonner. Lundi ou mardi, quelques milliers de réservistes vont affluer aux portes du régiment, confiants, presque joyeux. Ils auront embrassé leur mère et leur promise en disant à bientôt. De cette première fournée, peu reviendront. Et ceux qui retrouveront leurs proches n’auront, parfois, plus de lèvres pour les embrasser.



Le colonel, badine à la main, tourne au coin du bâtiment principal et s’engage sur la terre battue d’un terrain d’exercice. Des hommes, vêtus d’une sorte de camisole blanche, alignent mollets et moustaches en un rang impeccable. Mains aux hanches, ils plient les genoux en cadence, penchent le buste d’avant en arrière, trottinent sur place.

Le jeune officier qui commande le peloton ordonne la dispersion puis se dirige vers son supérieur. Même corpulence, même assurance, on pourrait par mimétisme confondre les deux personnages si une génération ne les séparait pas.

Le sous-lieutenant Pierre André de Bazelaire est le digne rejeton de son père. Frais émoulu de Saint-Cyr, promotion « La Croix du Drapeau », il a dix-neuf ans.

-         Bonjour, mon lieutenant.

-         Bonjour, mon colonel. Mes respects.

-         Vous semblez avoir pris la mesure de vos hommes. Je vous en félicite.

Il serait impossible à un non initié de percevoir la moindre familiarité entre les deux hommes. Il y a pourtant une grande affection entre les deux officiers. Georges est fier de son fils, qui le lui rend bien. Cette famille a donné assez d’amiraux et de généraux à la France pour qu’ils sachent reconnaître, l’un et l’autre, les signes de leur race.

-         Pierre, votre mère vous convie à notre table ce soir. Vous comprendrez pourquoi si je vous confie certaines informations.

-         La guerre mon colonel ?

-         Sans aucun doute. Nous recevrons demain l’annonce officielle de la mobilisation. Un télégramme du Ministère vient de m’en avertir. Il va sans dire que vos hommes n’ont pas à être avertis. Laissez les profiter de quelques heures de paix.

En surface, nulle émotion. Au profond des sentiments contradictoires.

Pour le père, une sorte de jubilation, la possibilité de sortir enfin du désert des tartares. Lors du désastre de Sedan, il avait douze ans. Sa ville natale, Briey, était restée française mais se situait désormais à la frontière avec la Lorraine occupée. Les mines de fer de la région fournissaient aussi bien les Allemands que les Français selon leur situation, à l’ouest ou au sud de la ligne de séparation. Dans le même temps, une inquiétude pour ce fils, fraichement diplômé, fougueux et habité de l’esprit de revanche commun à tous les officiers de sa promotion.

Chez le fils prédomine un sentiment de fierté. Il y a à peine deux mois il était à genoux dans la cour d’honneur de son école. «  A genoux les hommes, debout les officiers ! ». Avoir à faire face, aussi vite, à l’ennemi de toujours, est une chance inespérée. Monter à l’ennemi sous le commandement de son père, assuré de n’en attendre aucun favoritisme, commander au feu, reprendre l’Alsace et la Lorraine, sont les rêves les plus fous de ce jeune homme à la vocation bien ancrée. Un seul regret peut-être, ténu, refoulé, cette amie de sa sœur Suzanne, rencontrée lors du « Triomphe » de 1913. Une photo cachée, une promesse.

Ils se séparent après un bref salut.



Le Petit Journal titre, en première page :

« La guerre imminente » : Le sort en est jeté… 

« M. Jean Jaurès a été assassiné hier soir, à Paris » : Paris a appris avec stupeur…

« Blessée par une moissonneuse mécanique » :Hier, en faisant la moisson à la machine, M. Chevalier, cultivateur à Mont-Jean, a coupé une jambe à sa petite fille, âgée de dix mois, qui était couchée dans les blés . L’enfant a été transportée à l’hôpital de Laval.



Dans les imprimeries nationales, on forme des paquets avec les affiches de la mobilisation.

Il n’y avait plus que la date à imprimer

« Le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 Août 1914. »

« Tout Français, soumis aux obligations militaires doit, sous peine d’être puni avec toute la rigueur des lois, obéir aux prescriptions du FASCICULE DE MOBILISATION… » 

à suivre...


samedi 8 mars 2014

Les soldats de Brissarthe Morts pour la France

Voir l'article sur les soldats de Daumeray Morts pour la France.
Dans la même veine, j'ai réalisé un document sur les soldats de Brissarthe.
Vous trouverez, ci-dessous, quatre documents extraits de cet opuscule.
Je suis à votre disposition pour tout renseignement sur la manière de vous le procurer.




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